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L'Hommoeuvre

par Nicole Mozet

1799-1839 : apprentissages 1829-1836 : le romancier 1836-1842 : l'écrivain 1842-1850 : La Comédie humaine

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2. 1829-1836 : le romancier

Dans une lettre du 21 juillet 1830 écrite de la Grenadière après une excursion en Bretagne où il s'est rêvé pirate, comme le Kernok d'Eugène Sue, il tonne contre le ridicule de sa situation : vouloir une vie d'aventures et se résoudre à envoyer des articles à La Mode... Se sentir la vaillance du guerrier et devenir pêcheur à la ligne... Ces quelques phrases expriment admirablement, et non sans humour, la tension romantique qui fut celle de toute une génération et que Balzac a portée à son paroxysme :

« Oh ! mener une vie de Mohican, courir sur les rochers, nager en mer, respirer en plein l'air, le soleil ! Oh ! que j'ai conçu le sauvage ! oh ! que j'ai admirablement compris les corsaires, les aventuriers, les vies d'opposition ; et, là, je me disais : « la vie, c'est du courage, de bonnes carabines, l'art de se diriger en pleine mer et la haine de l'homme (de l'Anglais, par exemple). » Oh ! trente gaillards qui s'entendraient... et mettraient bas les préjugés comme M. Kernock [sic] !
Revenu ici sans argent, l'ex-corsaire est devenu marchand d'idées, et il s'est mis en devoir de pêcher ses goujons pour en vendre. Figurez-vous maintenant un homme aussi vagabonnant qui part d'un article intitulé Traité de la Vie élégante pour faire un volume in-8° que La Mode va imprimer et quelque libraire réimprimer. » ( Corr., I, 461-462)

Balzac s'est donc résigné à n'être que le corsaire des Lettres. La quasi-totalité des romans regroupés à partir de 1842 sous le titre de La Comédie humaine ont été écrits et publiés après 1830.

Homme d'opposition, Balzac a été libéral sous la Restauration et légitimiste, du moins après 1832, sous la monarchie de Juillet. Il a peint l'écroulement d'un monde ancien dont il regrette la stabilité, la simplicité et la transparence, et la mise en place d'une société opaque et tortueuse dont il dénonce la bêtise, la laideur et l'injustice. Mais il n'écrit jamais de romans à thèse. En tant que romancier, cette mutation historique formidable a nourri et décuplé son énergie créatrice, peut-être parce qu'il y trouvait la réplique caricaturale de son propre fonctionnement, écartelé qu'il était entre pulsion de mort et pulsion de vie.

En outre, son histoire familiale et personnelle le rend, plus qu'aucun écrivain de sa génération, parfaitement analogique de ce siècle privé d'ancêtres. Déraciné lui-même jusque dans son identité tourangelle, Balzac se contemplait dans un miroir lorsqu'il dessinait la fresque de la société de son temps. D'où le rôle de déclencheur qu'a joué pour lui la révolution de 18305. Car l'exil de Charles X s'embarquant à Cherbourg, si souvent évoqué dans La Comédie humaine, mettait un point final à une tentative de résurrection de l'Ancien Régime. De même qu'un roman ne prend tout son sens qu'au dénouement, cet échec désignait comme irréversible le nouveau pouvoir bourgeois. Les morts ne ressuscitent pas, même lorsqu'ils parviennent à sortir de leur tombe, comme dans Le Colonel Chabert.
Paru en octobre 1830 dans la Revue de Paris, L'Élixir de longue vie relève d'abord d'une lecture politique, avec une coïncidence étonnante entre histoire personnelle et histoire tout court, puisque c'est en 1829 qu'est mort le père de Balzac. Ainsi La Comédie humaine est  l'histoire au présent d'un monde pris dans les affres et les turbulences de son difficile accouchement. Dès le départ, ce monde ressemble à un vaste tripot.

En 1831, au seuil de La Peau de chagrin, le premier roman écrit et paru après 1830, Raphaël de Valentin fait son entrée triomphale sur la scène romanesque en déposant son chapeau au vestiaire. Il est nu. La fable de la peau qui rétrécit inexorablement, condensant le temps, dit bien la simultanéité de la vie et de la mort.
N'étant pas de ceux qui croient au progrès, Balzac se ferme les portes du futur. Celles du passé étant également closes, le présent est dramatisé et rendu plus épais, plus réel en quelque sorte, par ce rétrécissement. L'univers balzacien est celui d'une immanence radicale, y compris dans les textes les plus mystiques. Même par le haut, il est impossible de s'échapper. Ainsi l'auteur et ses personnages, enfermés dans un domaine délimité comme un champ opératoire, sont condamnés à explorer l'espace qui les entoure : hic et nunc. Ce faisant, ils ont tendance à creuser, s'enfonçant dans le royaume des causes cachées, dans les coulisses, voire dans les égouts et les poubelles. La seconde moitié du siècle sera la grande époque des autopsies et des descentes dans les entrailles de la terre et des hommes. Un monde souterrain, construit couche à couche vient servir de soubassement aux images de surface, leur donnant sens, relief et couleurs :

« Mais Paris est un vaste océan. Jetez-y la sonde, vous n'en connaîtrez jamais la profondeur. Parcourez-le, décrivez-le : quelque soin que vous mettiez à le parcourir, à le décrire, quelque nombreux et intéressés que soient les explorateurs de cette mer, il s'y rencontrera toujours un lieu vierge, un antre inconnu, des fleurs, des perles, des monstres, quelque chose d'inouï, oublié par les plongeurs littéraires. » (Le Père Goriot, Pl., III, 59)

Ainsi conçue, la profondeur d'un espace si exigu soit-il est inépuisable. L'infiniment grand est inclus dans le microscopique. La province par exemple, par sa platitude, devient un laboratoire idéal :

« Il se rencontre au fond des provinces quelques têtes dignes d'une étude sérieuse, des caractères pleins d'originalité, des existences tranquilles à la superficie, et que ravagent secrètement de tumultueuses passions [...] » (Eugénie Grandet, Pl., III, 1025)

 

Frontispice de La Peau de chagrin

Frontispice de La Peau de chagrin
par T. Johannot et Porret,
in Romans et contes philosophiques, Gosselin et Canel, 1831.
© PMVP

 

Le grand art du romancier est de faire rendre au présent tout son suc, en dépit de la médiocrité des êtres et des choses. C'est pourquoi l'écriture balzacienne profite si pleinement de cet « aplatissement des moeurs » (Pl., IV, 671) si souvent pourtant dénoncé et stigmatisé. Les intérêts de romancier sont en contradiction avec les options idéologiques du citoyen. Il ne faut donc pas être surpris de constater si souvent un énorme contraste entre l'insignifiance ou la noirceur de ce qui est raconté et la jubilation du ton et du rythme : cette veine court à travers toute l'oeuvre, du Curé de Tours aux Parents pauvres en passant par La Vieille Fille ou Pierrette. Avant Céline, Balzac a prouvé qu'on pouvait raconter des choses ennuyeuses sans ennuyer.

A partir de 1830, chaque année égrène son lot de publications. Dans les mois qui ont précédé les journées de Juillet, il faut signaler la Physiologie du mariage (décembre 1829) et les premières Scènes de la vie privée (avril 1830). La Peau de chagrin, d'août 1831, est reprise le mois suivant dans les Romans et contes philosophiques, avec entre autres Sarrasine, L'Élixir de longue vie et Le Chef-d'Oeuvre inconnu. Outre le Premier Dixain des Contes drolatiques, 1832 est une année très tourangelle, avec La Grande Bretèche, Le Curé de Tours, certains passages de La Femme de trente ans, Maître Cornélius, et La Grenadière à cause de la publication préoriginale dans la Revue de Paris d'octobre. 1833 est l'année du Médecin de campagne, mais surtout d'Eugénie Grandet. L'arbre classificatoire est en train de se ramifier : dans le cadre des Études de moeurs au XIXe siècle, apparaissent en décembre des Scènes de la vie de province, dont font partie Eugénie Grandet et L'Illustre Gaudissart, suivies en 1834 des Scènes de la vie parisienne, avec Histoire des treize. 1835 est l'année du Père Goriot, 1836 celle du Lys dans la vallée et du procès avec Buloz, le directeur de la Revue de Paris, ainsi que de La Vieille Fille, premier roman-feuilleton, paru dans un journal à grand tirage, La Presse, qu'Émile de Girardin venait de lancer.



5 Sur cette période cruciale, voir Roland Chollet, Balzac journaliste. Le tournant de 1830, Klincksieck, 1983.

 

Consulter :

1799-1839 : apprentissages

1829-1836 : le romancier

1836-1842 : l'écrivain

1842-1850 : La Comédie humaine