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LE BAL DE SCEAUX

par Roger PIERROT

 

I. L'HISTOIRE

Sous le règne de Louis XVIII, un ancien vendéen, le comte de Fontaine sait concilier sa fidélité aux principes légitimistes avec les pratiques de la monarchie constitutionnelle, mises en oeuvre par le roi son conseiller et protecteur. Il n'en est pas de même de sa jeune fille, Émilie, qui, par vanité a décidé de n'épouser qu'un Pair de France. Elle refuse ainsi de s'unir au charmant Maximilien de Longueville, quand elle découvre qu'il vend du calicot. Elle se résigne à épouser son oncle septuagénaire, le vice-amiral, comte de Kergarouët. Elle sera punie d'avoir « écarté le roi de coeur » en apprenant deux ans après son mariage que Maximilien est devenu vicomte et Pair de France.

 

II. HISTOIRE(S) DU TEXTE

Le Bal de Sceaux est un des plus anciens textes de La Comédie humaine, la date finale : Paris, décembre 1829, qui apparaît dans la troisième édition de 1835, semble exacte. Ce texte a toujours figuré dans les Scènes de la vie privée.

– Manuscrit complet de 45 feuillets au fonds Lovenjoul, sous la cote A 87. Texte cancellé d'un premier début aux versos de neuf feuillets. Ce début abandonné est déchiffré et reproduit dans la Pléiade (I, 1210-1218). Pas d'épreuves corrigées conservées.

–  Première édition : Scènes de la vie privée, deux volumes in-8, mis en vente par Mame et Delaunay-Vallée, le 13 mars 1830 ; intitulé pour la seule fois Le Bal de Sceaux ou le Pair de France, le récit clôt le premier volume et il constitue la troisième « Scène » et n'est pas divisé en chapitres.

– Seconde édition : Scènes de la vie privée, seconde édition, 4 volumes in-8 publiés par Mame-Delaunay, enregistrés à la Bibliographie de la France du 26 mai 1832, clôt toujours le premier volume, constitue la troisième « Scène », même texte que le précédent, titre définitif supprimant : ou le Pair de France.

– Troisième édition : Scènes de la vie privée, troisième édition constituant la première série des Etudes de moeurs au XIXe siècle. Le Bal de Sceaux devient la première « Scène » du premier volume publié par Mme Charles-Béchet, enregistré à la Bibliographie de la France du 4 juillet 1835. Texte corrigé, apparition de la localisation et de la date finale.

– Quatrième édition : Scènes de la vie privée, nouvelle édition revue et corrigée, publiée en deux volumes in-18, par Charpentier, enregistrée à la Bibliographie de la France du 5 octobre 1839. Comme dans l'édition précédente Le Bal de Sceaux ouvre le premier volume. Le texte est le même, hormis quelques corrections purement typographiques.

– Cinquième édition au tome I de La Comédie humaine, enregistré à la Bibliographie de la France du 25 juin 1842. Le Bal de Sceaux, au premier volume des Scènes de la vie privée, devient la seconde « Scène ». Le texte est corrigé et la dédicace : « A Henri de Balzac – son frère – Honoré » apparaît pour la première fois.

– Le Furne corrigé présente d'assez nombreuses corrections (surtout dans les deux dernières pages) qui ne bouleversent pas le texte, mais qu'il faut prendre en considération pour le système des personnages reparaissants.

 

III. PERSONNAGES

Une trentaine de personnages fictifs cités dans ce roman reparaissent ailleurs dans La Comédie humaine. Dix-huit ne sont ici que des comparses introduits tardivement en 1842, au tome I de l'édition collective de son oeuvre, pour appliquer le système des personnages reparaissants ou encore dans le Furne corrigé : le nom du receveur-général, époux de la fille aînée du comte de Fontaine, précisé en : Planat, dans le Furne ; devient : Planat de Baufry ; les noms de famille des deux autres belles filles du comte de Fontaine : Mongenod et Grossetête sont des ajouts ; « Madame de Nucingen en a fait un banquier » remplace « Il est devenu banquier ». Pour les autres personnages, les plus typés sont le comte de Fontaine, sa fille Emilie, devenue comtesse de Kergarouët, et Maximilien de Longueville. 

– Comte de Fontaine : 60 ans en 1824, « Grand Jacques » dans la Chouannerie dont il fut l'un des chefs (Les Chouans, Béatrix, César Birotteau). Mais il évolue avec son temps et son adhésion au régime « restauré » est totale. Ses trois fils font carrière dans la magistrature, l'armée et l'administration, et épousent des roturières fortunées. Quant à ses trois filles, les deux aînées se mésallient sans état d'âme, au désespoir de leur mère, née de Kergarouët, beaucoup moins avancée d'idées que le comte de Fontaine. Dans La Muse du département, on apprendra la mort du comte, en 1828, un an après avoir obtenu une pairie longtemps attendue.

– Émilie de Fontaine : née en 1802, fille cadette du comte, entre dans le monde avec la Restauration. Elégante, orgueilleuse, imbue de son rang, elle est une jeune fille pleine de charme et d'insolence, comme en 1818 au bal Birotteau (César Birotteau). Elle épousera son oncle, le vieil amiral de Kergarouët, par dépit et par défi puis, veuve, se remarie avec Charles de Vandenesse, le frère de Félix (Béatrix).

– Maximilien de LONGUEVILLE, fils cadet du vicomte, né Guiraudin, dont la particule est récente. Il renonce à la fortune de son père pour assurer le majorat à son aîné. Il deviendra à son tour riche, vicomte et pair.

 

IV. LECTURES ET COMMENTAIRES

Le Bal de Sceaux, sous un titre anodin et publicitaire, cache son jeu et son enjeu. En apparence scène-étude de moeurs, greffée sur la pratique mondaine d'un bal champêtre hors les murs, aux limites de la transgression, Le Bal de Sceaux, à sa date, engage toute une réflexion sur l'ordre social et politique et le bal, qui assure un moment le mélange des classes, pourrait bien devenir emblématique. En fait, ce roman est un des plus importants pour comprendre la politique balzacienne, en deçà des options légitimistes ultérieurement affichées. C'est une approbation sans réserves de la sagesse politique de Louis XVIII, ni libéral, ni ultra, illustrée par la protection accordée au comte de Fontaine et à ses nombreux enfants.