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GAUDISSART II

par Françoise SYLVOS

 

I. L'HISTOIRE

Dans cette scène, le commis-voyageur de L'Illustre Gaudissart donne son nom à un type qu'il incarnait déjà. Gaudissart est l'inventeur de « techniques de vente » infaillibles et dont la tradition se perpétue jusqu'à nos jours. A ce titre, il est le père spirituel des héros de ce sketch qui ne sont autres que les vendeurs et le patron d'une boutique où l'on vend des châles. Le romancier, qui a rangé ce récit dans Les Comédiens sans le savoir, nous présente le commerce comme une mise en scène parfaitement réglée, comme une tragédie au déroulement implacable. Il nous fait assister par l'intermédiaire de Du Ronceret et de Bixiou, témoins du spectacle, à un épisode mettant aux prises le personnel d'une boutique avec une Anglaise, archétype de la cliente difficile aux yeux du romancier. Le défi est d'autant plus intéressant que l'article est selon l'expression d'Anne-Marie Meininger dans son introduction à ce texte (Pl., VII, 852), « un châle impossible à vendre ». Balzac prend soin de justifier lui-même le choix de son sujet.

 

II. HISTOIRE(S) DU TEXTE

– Propriété d'un collectionneur privé, le manuscrit n'est pas accessible. Il s'agit d'« Un Gaudissart de la rue Vivienne, manuscrit autographe en 15 folios et huit jeux successifs d'épreuves corrigées, le dernier portant le bon à tirer » (Catalogue de l'Exposition commémorative du cent cinquantième anniversaire de Balzac, organisée par Pierre Bérès du 20 mai au 20 juin 1949 ; Pl., VII, 1522).

– 1843 : Balzac projette Le Voyage de Découverte exécuté dans la Rue de Richelieu pour un recueil illustré, Les Rues de Paris, « un de ces ouvrages stupides (...) qui se vendent à 25000 exemplaires à cause des vignettes » (dans une lettre du 22 janvier 1843 à Mme Hanska)

– 12 octobre 1844 : édition préoriginale dans La Presse, sous le titre Un Gaudissart de la rue Richelieu, et avec le sous-titre Les Comédiens qu'on peut voir gratis à Paris

– 15 octobre 1844 : édition originale dans Le Diable à Paris, Hetzel, tome I, 37e-38 e Livre, sous le titre : Un Gaudissart de la rue Richelieu. les Comédies qu'on peut voir gratis à Paris. Augmenté d'une page (Le Persan, 850-851) attribuable à Hetzel. 

– le 25 : reproduit dans L'Echo de la Presse sous le même titre.

– août 1846 : deuxième édition. Gaudissart II, Scènes de la vie parisienne, tome IV, La Comédie humaine, tome XII, Furne, 1846. Avec dédicace : « A Madame la princesse de Belgiojoso, née Trivulce ».

– Troisième édition : chez Roux et Castanet en 1847 (mais annoncée par la Bibliographie de la France en juin 1848). Elle constitue les chapitres XVI à XXIV du Provincial à Paris. Dans cette édition, Gaudissart II appartient aux Comédiens sans le savoir

 

III. PERSONNAGES

– Jean-Jacques BIXIOU : dessinateur et caricaturiste aux multiples réapparitions.

– Fabien DU RONCERET, (ici Duronceret) : ancien camarade de Victurnien d'Esgrignon, sur lequel il a une mauvaise influence (Le Cabinet des Antiques). Magistrat à Alençon, il démissionne pour s'installer à Paris. C'est à l'occasion de son mariage avec Mme Schontz qu'il se rend chez un marchand de châles. Il sera officier de la Légion d'Honneur (Béatrix).

– Félix GAUDISSART : roi des commis-voyageurs, il se lance dans l'assurance après 1830 et devient le directeur d'un théâtre. Il triomphe comme banquier et directeur d'une compagnie de chemins de fer. (L'Illustre Gaudissart, César Birotteau, Le Cousin Pons). Dans notre nouvelle, il accède au rang de type, son nom de famille devenant, par antonomase, un nom commun.

– Mme Aurélie SCHONTZ : nom de guerre de Joséphine Schiltz, orpheline et filleule de l'Impératrice. Courtisane, elle épouse Fabien Du Ronceret qu'elle suit à Alençon lorsqu'il y est muté (Petites Misères de la vie conjugale, La Cousine Bette, Les Comédiens sans le savoir).

 

IV. LECTURES ET COMMENTAIRES

Typique d'une stratégie encore très actuelle, la vente du châle-sélim est un épisode digne de tenir en haleine le lecteur. La peinture de Balzac insiste à juste titre sur la parfaite complicité des vendeurs et du patron face à la cliente. Zola montrera plus volontiers l'envers du décor et les rivalités à l'oeuvre entre les employés ou entre les différents corps hiérarchiques des grands magasins (Au Bonheur des dames). Ici, de telles tensions n'existent pas, chaque vendeur jouant un rôle attitré, complémentaire et non concurrent des autres.