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HISTOIRE DES TREIZE

par Andrew OLIVER

Curieux titre que celui donné par Balzac à cet ensemble de petits textes destinés à être considérés comme une trilogie : Ferragus, Ne touchez pas la hache (rebaptisé La Duchesse de Langeais) et La Fille aux yeux d'or. En effet, comme la critique ne cesse de le répéter depuis la première parution de ces romans, l'idée de l'histoire des treize, société secrète d'hommes « assez forts pour se mettre au-dessus de toutes les lois, assez hardis pour tout entreprendre, et assez heureux pour avoir presque toujours réussi dans leurs desseins », n'est guère nécessaire pour lire, comprendre ou interpréter la trilogie. Sans la préface dont Balzac coiffa la publication de Ferragus c'est à peine si on comprendrait le sens des rares allusions explicites aux Treize que l'on trouve dans ces textes (« treize prêtres venus de diverses paroisses », « un convoi où il y avait treize voitures de deuil » dans Ferragus ; « treize démons humains arrivèrent au pied du promontoire », dans La Duchesse de Langeais ; mais aucune mentions dans La Fille aux yeux d'or).

Il est vrai que le premier épisode de la trilogie désigne Ferragus, comme le chef des Dévorants : « nom d'une des tribus de Compagnons ressortissant jadis de la grande association mystique formée entre les ouvriers de la chrétienté pour rebâtir le temple de Jérusalem », espèce de franc-maçonnerie qui exerce une puissance qui ne respecte ni l'ordre social tel qu'il est juridiquement constitué, ni la morale naturelle ou religieuse. Ces Dévorants interviennent dans l'action de manière quasiment diabolique d'une part pour assurer la mort d'un des personnages (Auguste Maulincour) et d'autre part pour exaucer le voeu, interdit par la loi, du veuf de l'héroïne de garder près de lui les cendres mortuaires de son épouse. Il est vrai aussi que dans La Duchesse de Langeais Montriveau a recours aux compagnons pour enlever la duchesse, à Paris d'abord, puis une deuxième fois, alors qu'elle s'est réfugiée dans un couvent. Henri de Marsay, protagoniste de La Fille aux yeux d'or, agira d'une manière semblable lorsqu'il se fera accompagner de trois amis, dont Ferragus, en allant chez Paquita afin de se venger d'elle. Il n'est pas moins vrai que le nombre treize donne à la trilogie une tonalité sombre, voire maléfique. Mais ces interventions ne sont que des aspects relativement mineurs. Ce qui prime dans ces trois romans est le portrait présenté par chacun d'une femme amoureuse – toutes les trois constituant un type différent de l'amour – ainsi que les rapports entre la société parisienne et cet amour.


Premier épisode : FERRAGUS

I. L'HISTOIRE

Ferragus, chef des Dévorants est l'histoire de l'épouse aimante, innocente et pure qui succombe sous le poids des soupçons, plausibles mais erronés, d'un mari qui l'adore. Nous sommes en 1819. Auguste de Maulincour, jeune officier de cavalerie, se promenant dans un quartier mal famé de Paris, aperçoit au loin une jeune femme mariée dont il est amoureux et dont il espère faire la conquête. Elle rentre aussitôt dans une maison ignoble où elle reçoit l'« obséquieux salut d'une vieille portière ». Quel est le secret de Clémence Desmarets ? car il s'agit d'elle. La retrouvant le même soir chez Mme de Nucingen, Auguste révèle ce qu'il a vu, provoquant ainsi un démenti formel. L'officier espionne la maison suspecte, rencontre Ferragus qui laisse tomber une lettre où il est question de reproches à son adresse formulés par une jeune femme, Ida Gruget. Auguste monte chez Ferragus, et découvre une partie du secret : Clémence, épouse du riche agent de change, Jules Desmarets, est bel et bien chez cet être aux airs dangereux. Surviennent plusieurs accidents qui auraient pu coûter la vie à Auguste ainsi qu'une provocation en duel par le marquis de Ronquerolles, soupçonné d'agir sous les ordres de Ferragus. Lors d'un bal, ce dernier saisit Auguste par le bras et lui annonce qu'il doit mourir. Devant ces menaces le jeune homme révèle au mari les détails de l'histoire. Désormais le récit se fixe sur Jules Desmarets, sur l'ère du soupçon introduit dans un ménage jusqu'alors parfait. Jules surprend de petits mensonges, et conçoit pour la première fois des soupçons qui le font terriblement souffrir. Le reste de l'histoire retrace les diverses péripéties qui conduiront Jules à détruire sa femme adorée, car elle ne peut supporter l'idée d'une ombre de méfiance. La vérité se fera jour après sa mort seulement, mort qui se double de celle d'Auguste, d'Ida, de l'isolement de Jules et du déclin physique et moral de Ferragus.

 

II. HISTOIRE(S) DU TEXTE

Le manuscrit, commencé par Balzac en février 1833, se compose de 104 feuillets (Lov. A 99). Les deux premiers chapitres se caractérisent par une écriture soignée, alors que les deux derniers témoignent de la précipitation d'une composition accompagnée des harcèlements du directeur de la Revue de Paris, Pichot. La « Préface » à l'Histoire des treize paraît dans la Revue de Paris du 10 mars 1833. La livraison du 17 mars donne les deux premières parties de Ferragus, chef des Dévorants : « Mme Jules » et « Ferragus » ; le troisième chapitre « La Femme accusée » paraît le 31, mais le quatrième « Où aller mourir », ainsi que la conclusion et une postface (jamais reprise) qui annonce les deux épisodes à suivre, ne seront publiés que dans un fascicule supplémentaire, tiré à part, dans le courant du mois d'avril. La version du texte publié dans la Revue de Paris est reproduite en 1833 sous le titre Histoire des treize chez J.-P. Méline (un vol. in-16), et réimprimée en 1835 avec la mention « Premier épisode » précédant le nom de l'auteur.

L'édition originale est publiée dans le tome X des Etudes de moeurs au XIXe siècle (t. II des Scènes de la vie parisienne) chez Mme Charles-Béchet, in-8, en avril 1834. Balzac y supprime les noms d'écrivains et d'artistes « réels » que préparaient dans le texte de la Revue de Paris.

– La deuxième édition (Charpentier, 1840, in-18) réunit Ferragus avec La Duchesse de Langeais (seulement) sous le titre Histoire des treize. C'est dans cette édition que disparaît la division en chapitres et qu'apparaissent les noms de Nucingen et Mme de Langeais.

Enfin la troisième édition est celle qui paraît chez Furne, 9e tome de La Comédie humaine (t. I des Scènes de la vie parisienne) en novembre 1843. Corrections mineures : apparition du nom de Marsay.

La préface, dans la Revue de Paris, est précédée d'une épigraphe ; «... Personne encore ne nous a raconté quelque aventure parisienne, comme il en arrive dans Paris, avec le fantastique de Paris, car je soutiens qu'il y a beaucoup de fantastique dans Paris. (LAUTOUR-MEZERAY) ». Cette épigraphe est maintenue dans l'édition originale à deux petits ajouts près, mais elle disparaît des éditions subséquentes. En revanche y apparaît la dédicace « A HECTOR BERLIOZ ».

Aucune correction dans le Furne corrigé.

 

III. PERSONNAGES

– Clémence DESMARETS : fille de Ferragus, appelée couramment Madame Jules (c'était une enfant naturelle). La plus belle au bal des Birotteau (César Birotteau).

– Jules DESMARETS : agent de change, époux de la précédente (son nom figure dans César Birotteau). Il quitte Paris après la mort de Clémence

– Henri FERRAGUS : nom de guerre (en fait Ferragus XXIII) de Gratien Bourignard, ancien entrepreneur de bâtiment, forçat évadé, père de Clémence. Apparaît aussi sous le nom de Camuset et du comte de Funcal. En 1815 il accompagne de Marsay chez la fille aux yeux d'or.

– Comte de FUNCAL : semble un précurseur de Vautrin.

– Ida GRUGET : couturière, prostituée, maîtresse de Ferragus. Elle se jette dans la Seine et son suicide est évoqué par sa mère dans La Rabouilleuse.

– Auguste de MAULINCOUR : officier de cavalerie (son nom réapparaît dans Le Contrat de mariage et La Duchesse de Langeais).

– Vidame de PAMIERS : ancien commandeur de l'ordre de Malte, ami de la baronne de Maulincour, grand-mère d'Auguste (figure dans Le Contrat de mariage, La Duchesse de Langeais, Le Cabinet des Antiques, Splendeurs et misères des courtisanes).

– Marquis de RONQUEROLLES : un des treize, frère de la comtesse de Sérisy ; il provoque Auguste de Maulincour en duel, et fera partie de l'équipe d'Henri de Marsay (figure dans La Femme de trente ans, Le Père Goriot, Le Contrat de mariage, La Duchesse de Langeais, La Fille aux yeux d'or, Le Lys dans le vallée, L'Interdiction, Le Cabinet des Antiques, Illusions perdues, César Birotteau, Béatrix, Splendeurs et misères des courtisanes, Ursule Mirouët, Un début dans la vie, Les Paysans).

 

IV. LECTURES ET COMMENTAIRES

Les correspondants de Balzac sont presque unanimes dans leurs louanges.

« Nos lecteurs sont (...) palpitants sous le poids de la curiosité qui les oppresse ; je ne vous dissimule pas que vous avez un grand succès. » (Amédée Pichot, directeur de La Revue de Paris, à Balzac le 21 mars 1833 (Corr., II, 273) à propos des deux premiers chapitres de Ferragus, puis de nouveau le 23). Et lorsque Balzac quitte La Revue de Paris pour publier la suite dans L'Echo de la jeune France, Amédée Pichot lui écrit en ces termes : « Il ne serait pas juste que quelque mérite qu'il y ait dans la Théorie de la démarche cet article se trouvât notre seule ressource pour lutter contre l'intérêt si puissant, si révolutionnant de l'Histoire des Treize. » (10 avril 1833, ibid., 288). Par ailleurs, la Duchesse de Berry, incarcérée dans la forteresse de Blaye, est une lectrice avide des Treize comme en témoigne une lettre du Dr. Ménière à Balzac (19 avril 1833) : « On n'en dormait plus, il fallait vous écrire et savoir la terminaison de votre satanique Ferragus. » (Ibid., 289) Charles de Bernard lui écrit : « Ferragus est une petite merveille qui m'a fasciné et empêché de dormir » (avril ou mai 1833, Ibid., 301). Zulma Carraud, amie et admiratrice de Balzac, lui fait part de sa réaction le 2 août 1833 : « Ferragus est superbe et il a des taches qu'il faut lui enlever, parce qu'elles dénotent de l'irréflexion et que cela ne vous va pas. (...) Hors la grisette [Ida Grujet], parfaite du reste en son genre, mais hors d'oeuvre là, tout est admirable. » (Corr., 330)

Balzac lui-même commente le succès de Ferragus dans une lettre à Mme Hanska, le 29 mai 1833 : « L'Histoire des 13 a eu un succès extraordinaire dans ce Paris si insouciant et si occupé » (LHB I, 39) et il considéra Ferragus comme une de ses meilleures productions. Ainsi écrit-il à Adolphe Everat : « (...) le Père Goriot est devenu sous mes doigts un livre aussi considérable que l'est Eugénie Grandet ou Ferragus. » (22 octobre 1834, Corr., II, 560)

La presse contemporaine atteste le succès, mais avec quelques pointes :

Le Charivari fera paraître en 1834 un morceau, signé A.S., d'une satire mordante où il est justement question des Treize : « Le Sire de Balzac fait partie de cette terrible association des TREIZE, dont le chef, le farouche dévorant Ferragus, est mort d'un coup de stylet l'année dernière. On sait que rien n'est impossible pour les TREIZE, le bien comme le mal. (...) Eh bien ! malgré toute cette puissance, ils n'ont jamais réussi à faire vendre les Contes drolatiques. » (Voir René Guise, « Balzac et Le Charivari », A.B. 1984).

Jules Janin dans La Revue de Paris, « Manifeste de la jeune littérature » (janvier 1834) n'est pas sans ironie à l'égard de Balzac, tout en répondant au manifeste de Nisard contre « la littérature facile » : « comment trouvez-vous surtout les bons contes de Balzac ? Ceux-là sont vifs, animés, bien commencés, bien intrigués. Trouvez-vous (...) un conte plus intéressant que la première partie de l'Histoire des Treize ? (...) Depuis quelque temps M. de Balzac a renoncé à la littérature facile, il ne fait plus de contes, il ne fait plus que des romans, et quels romans ! Des romans d'économie politique ! ».

Et le Bulletin de Censure accorde un brevet de moralité : « Les souffrances intérieures de Mme Jules, l'héroïsme chrétien qui la rend résignée, sont exprimées avec un sentiment et une éloquence qui arrachent des larmes. C'est une des oeuvres les plus saisissantes et les plus morales de M. de Balzac ». (Voir René Guise, « Balzac et le Bulletin de Censure », A.B. 1983)


Deuxième épisode : LA DUCHESSE DE LANGEAIS

I. L'HISTOIRE

L'héroïne de Ne touchez pas la hache (La Duchesse de Langeais) est présentée comme une coquette parisienne qui, trop tard, découvre le véritable amour auquel elle s'apprête à tout sacrifier. La stratégie narrative du récit s'apparente à celle adoptée dans Ferragus : il y a un mystère à éclaircir, celui du comportement d'un général français qui débarque dans une île espagnole lors de l'expédition française pour rétablir l'autorité de Ferdinand VII. Depuis cinq ans il recherche dans tous les couvents d'Europe et d'Amérique une femme dont il avait perdu toute trace. Il découvre que soeur Thérèse est celle qu'il recherche et obtient de la voir dans son couvent, en présence de la mère supérieure. Elle refuse de le suivre, mais laisse paraître son amour. Long retour en arrière : le narrateur se livre à de longues considérations sur la société sous la Restauration où les valeurs dominantes sont celles de l'hypocrisie, de l'importance des apparences et de l'argent. C'est cette société qui a formé Antoinette de Navarreins, épouse du duc de Langeais avec lequel elle fait ménage à part. Montriveau s'éprend d'elle dès leur première rencontre, et lui voue un culte pur et absolu, culte encouragé par la duchesse, toute à ses calculs mondains. Montriveau essaie en vain d'obtenir des preuves d'amour irréfutables. Antoinette lui oppose, hypocritement, des arguments religieux. Son ami Ronquerolles le persuade d'user de la manière forte. Lors d'un bal, Montriveau raconte, tout en regardant le cou d'Antoinette, le souvenir qui l'avait le plus marqué, à Westminster. « Ne touchez pas à la hache » aurait dit le gardien montrant la hache qui avait servi à trancher la tête à Charles Ier. Un peu plus tard elle est enlevée et conduite, pieds et poings liés, chez Montriveau. Ses amis préparent l'instrument dont il va se servir pour punir : une croix de Lorraine rougie au feu qu'il a l'intention d'appliquer au front de la coquette. In extremis il renonce et fait reconduire Antoinette au bal. Désormais la duchesse est follement éprise, mais la situation est renversée. Montriveau la fuit. Au bout de plusieurs semaines d'efforts infructueux, la duchesse expédie son cousin, le vidame de Pamiers, pour fixer un rendez-vous qu'un malentendu fera échouer. Montriveau apprendra la vérité trop tard. Elle s'est enfuie. Le dernier chapitre raconte la tentative de Montriveau, aidé par les Treize, pour enlever la duchesse devenue la soeur Thérèse, mais Dieu en a décidé autrement.

 

II. HISTOIRE(S) DU TEXTE

– La postface de Ferragus dans la Revue de Paris annonçait « deux nouveaux TREIZE » : « La seconde [histoire] aura pour titre : Ne touchez pas la hache et la troisième : La Femme aux yeux rouges ». En effet, au verso du folio 81 du manuscrit de Ferragus Balzac a écrit le titre du second épisode ainsi que quelques lignes esquissant un éventuel début. Tout porte à croire que Balzac menait de front, à la fin de mars 1833, la correction sur épreuves du dernier chapitre de Ferragus et la rédaction du premier chapitre de Ne touchez pas la hache. Les premiers projets indiquent qu'il n'avait pas d'abord songé à commencer son histoire par la fin de la quête d'Armand Montriveau. Le manuscrit se compose de 49 feuillets (Lov. A100 : l'entrevue entre Montriveau et la soeur Thérèse, tout le deuxième chapitre et le début du troisième). Balzac rompt avec Pichot au moment de la publication de la dernière partie de Ferragus et donne le début du nouveau roman au journal légitimiste L'Echo de la Jeune France, où paraissent, fin avril et début mai 1833, le premier chapitre et le début du deuxième. A ce stade le roman devait comporter trois chapitres, mais Balzac, brouillé avec le directeur de L'Echo qui avait publié le deuxième chapitre sans le « bon à tirer » de l'auteur, abandonne son texte et consacre plusieurs mois à la rédaction d'Eugénie Grandet. C'est en novembre et surtout à Noël auprès de Mme Hanska en Suisse qu'il reprend ce deuxième épisode et l'achève en mars 1834.

– L'édition originale de Ne touchez pas la hache est publiée, à la suite de Ferragus dans le tome XI des Etudes de moeurs au XIXe siècle (t. III des Scènes de la vie parisienne) chez Mme Charles-Béchet, in-8, en avril 1834. Le texte de L'Echo a été très remanié. Publié en quatre chapitres (I « La Soeur Thérèse », II « L'Amour dans la paroisse de Saint-Thomas d'Aquin », III « La Femme vraie », IV « Dieu fait les dénoûments »), la nouvelle est suivie d'une postface, non reprise, annonçant « l'aventure toute parisienne de La Fille aux yeux d'or », histoire d'une « passion terrible, devant laquelle a reculé notre littérature, qui ne s'effraie cependant de rien. »

– La deuxième édition est celle de Charpentier (1840, in-18) où, pour la première fois, le titre La Duchesse de Langeais est adopté (Histoire des treize : Premier épisode : Ferragus, chef des Dévorants ; Deuxième épisode : La Duchesse de Langeais), mais où la division en chapitres est supprimée.

– La troisième édition paraît chez Furne, 9e tome de La Comédie humaine (t. I des Scènes de la vie parisienne) en novembre 1843. Les titres de chapitre étaient suivis, dans l'édition originale et dans la deuxième édition, d'une épigraphe qui disparaît dans le Furne. On remarquera celles des deux derniers chapitres, puisés à la source (balzacienne) :

Chap. III : « Ez cueurs guastez de tout poinct, ne sourd que venins de vindicte. LES CENT CONTES DROLATIQUES. Troisième dixain. Berthe la repentie ».

« L'amour crée dans la femme une femme nouvelle : celle de la veille n'existe plus le lendemain. LES MARANA ».

Chap. IV : « C'était un noeud gordien, auquel ne devait pas manquer le glaive qui dénoue les liens les plus fortement serrés. FERRAGUS, chef des Dévorants ».

L'édition Furne rajoute une dédicace : « A FRANTZ LISZT ».

 

III. PERSONNAGES

– Duc de LANGEAIS : mari absent (figure dans Le Contrat de mariage, La Muse département, La Cousine Bette).

– Antoinette de LANGEAIS (1795-1823) : fille du duc de Navarreins, femme du précédent. Carmélite sous le non de soeur Thérèse. Souvent évoquée dans La Comédie humaine soit pour son parcours mondain antérieur à l'épisode, soit pour le souvenir qu'elle a laissé (figure dans Le Père Goriot, Ferragus, Le Lys dans la vallée, L'Interdiction, Le Cabinet des Antiques, Illusions Perdues, La Vieille fille, Béatrix).

– Armand de MONTRIVEAU : un des Treize, général, amant d'Antoinette de Langeais (figure dans Le Père Goriot, Le Contrat de mariage, Le Lys dans la vallée, L'Interdiction, Le Cabinet des Antiques, Illusions PerduesMémoires de deux jeunes mariées, La Muse département).

– Duc NAVARREINS : né en 1764, père d'Antoinette de Langeais. Fort actif au long de La Comédie humaine (15 apparitions).

– Vidame de PAMIERS : né en 1752, ancien commandeur de l'ordre de Malte, cousin d'Antoinette de Langeais (figure dans Le Contrat de mariage, Ferragus, Le Cabinet des Antiques, Splendeurs et misères des courtisanes).

– Marquis de RONQUEROLLES : il était déjà dans Ferragus, et reparaît dans une quinzaine de romans, avec des notamment dans La Fausse Maîtresse et Ursule Mirouët.

 

IV. LECTURES ET COMMENTAIRES

En ce qui concerne Ne touchez pas la hache, Balzac est convaincu qu'il s'agit là de ce qu'il a fait de mieux en psychologie féminine : « Allons, ange à moi, décidément, tu tressailleras, tu palpiteras en lisant Ne touchez pas la hache, car c'est, en fait de femme, ce que j'aurai fait jusqu'à présent de plus grand. Aucune femme de ce faubourg ne peut ressembler à cela ». (à Mme Hanska, 20 février 1834, LHB I, p. 140)

Le Journal des femmes du 5 avril 1834 s'en prend à l'invraisemblance du portrait de la duchesse de Langeais, disant que même s'il existe dans la société des femmes froides et insensibles, « on ne les gagne pas en les menaçant de les marquer au front du signe que les malfaiteurs portent à l'épaule. On ne les attache pas à soi en les foulant aux pieds ; les femmes froides ont au moins de commun avec les femmes vraiment tendres, la fierté. » (Voir René Guise, « Balzac et la presse de son temps », A.B. 1982, p. 93). En revanche Le Bulletin de la Censure trouve qu'« (i)l y a dans ce livre de belles pages sur l'excellence de la vie monastique, de la vie contemplative, qui fait oublier des intérêts terrestres à mesure que l'âme monte vers la sphère du ciel. Quand il veut, l'auteur comprend et développe à merveille la puissance et la grandeur des institutions catholiques ». (Voir René Guise, « Balzac et le Bulletin de Censure », A.B. 1983, p. 296)


Troisième épisode : LA FILLE AUX YEUX D'OR

I. L'HISTOIRE

Ce dernier épisode de la trilogie est une véritable descente aux enfers humains. En effet, le narrateur balzacien dresse, au début du récit, un long portrait détaillé d'un Paris comparé aux cercles de l'enfer dantesque. De toute la Comédie humaine c'est le réquisitoire le plus sévère et le plus célèbre porté contre une ville qui fascine et répugne en même temps. Ce cadre parisien est en quelque sorte le drame passionnel qui s'y joue, où le sentiment entre pour peu de chose, mais où les sens sont une question de vie et de mort. Le résumé en est d'ailleurs des plus simples. De Marsay est fasciné par une jeune femme qu'il aperçoit un jour aux Tuileries. Pressentant que l'attirance est réciproque, de Marsay guette son retour et la voit disparaître dans un hôtel de la rue Saint-Lazare. Renseignements pris, il découvre que Paquita Valdès est surveillée nuit et jour et que l'hôtel San-Réal est organisé comme une forteresse. Levant tous les obstacles, il envoie une lettre à Paquita qui, à son tour, fixe les modalités d'un rendez-vous. Une première rencontre, dans un bouge, en la présence de la duègne, est des plus passionnées. Un deuxième rendez-vous est fixé. Cette fois-ci de Marsay doit se laisser bander les yeux par Christemio, fidèle serviteur de Paquita. Elle-même dénouera le foulard, et il découvrira une Paquita voluptueuse dans un boudoir d'un luxe exquis. Pourtant, dans ce lieu, l'abandon à la passion prend des accents de délire, de folie sadique : se disant esclave, Paquita offre d'abord à de Marsay un poignard avec l'invitation de la tuer ; ensuite, elle l'habille d'une robe de velours rouge et tous les deux se gorgent de plaisir. Le lendemain une pensée nouvelle habite l'esprit de de Marsay : il aurait été joué, aurait posé pour une autre personne. Encore un rendez-vous. Cette fois-ci Paquita le traite en homme, et se donne pleinement à lui. Pourtant, au plus fort du plaisir, elle laisse échapper le mot « Mariquita », ce qui provoque chez de Marsay le désir de la tuer. Christemio l'oblige à sortir. Huit jours plus tard lorsqu'il arrive, accompagné de trois des treize, pour se venger, il trouve Paquita étalée, sanglante, aux pieds de la marquise de San-Réal... elle aussi fille de Lord Dudley, donc sa demi-soeur.

 

II. HISTOIRE(S) DU TEXTE

– Le manuscrit de La Fille aux yeux d'or, composé en deux temps, la première partie datée du 15 mars 1834, la deuxième datée « Meudon, 6 avril 1835 », est conservé avec celui, incomplet, de Ne touchez pas la hache dans la collection Lovenjoul (A 100). Les 15 premiers feuillets, soit la première partie, d'une écriture soignée, forment le premier chapitre intitulé « Physionomies parisiennes » qui est publié, par la veuve Béchet, en avril 1834 dans le tome 11 des Etudes de moeurs au XIXe siècle (t. III des Scènes de la vie parisienne) sous le titre La Fille aux yeux d'or. La deuxième partie, d'une écriture plus nerveuse, est formée de 42 feuillets, soit le chapitre II (« Singulière bonne fortune ») et III (« La Force du sang ») : elle paraît en mai 1835 dans le tome 12 des Etudes de moeurs au XIXe siècle (t. IV des Scènes de la vie parisienne). Cette publication constitue l'édition originale qui ajoute beaucoup au manuscrit. On trouve au verso du folio 9 de cette seconde partie le titre primitif du texte, « La Fille aux yeux rouges / Physionomies parisiennes » ainsi qu'une épigraphe : « Tout mouvement exorbitant est prodigalité (d'existence) de vie / TRAITE COMPLET de LA VIE ELEGANTE (3e p.) théorie de la démarche, ouvrage inédit de l'auteur. », épigraphe qui accompagnera l'édition originale. Par ailleurs, il est à noter que Balzac intègre au premier chapitre le texte d'un article, « Le Petit Mercier » qu'il avait publié dans La Caricature (nº 7, 16 déc. 1830).

– L'édition Charpentier d'Histoire des treize (1840) ne reproduit pas La Fille aux yeux d'or. Par conséquent, l'édition Furne, 9e tome de La Comédie humaine (t. I des Scènes de la vie parisienne), novembre 1843, est la deuxième édition qui ajoute la dédicace, et introduit le nom de Nucingen. Dans le Furne corrigé, deux corrections de détail et quelques alinéas supprimés.

 

III. PERSONNAGES :

– CHRISTEMIO : mulâtre, domestique de Paquita Valdès, compagnon de la mère de celle-ci.

– Lord DUDLEY : père de Henri de Marsay et de la marquise de San-Réal (figure dans Le Lys dans la vallée, Une fille d'Eve, Le Cabinet des Antiques, La Rabouilleuse).

– Paul de MANERVILLE : confident d'Henri de Marsay (figure dans Le Bal de Sceaux, Le Contrat de mariage, Illusions Perdues, Le Cabinet des Antiques, La Rabouilleuse).

– Henri de MARSAY (1792-1838) : ce sont en quelque sorte les débuts de ce dandy parisien, qui apparaît ou reparaît dans plus de vingt romans, et y fera carrière.

– Marquis de RONQUEROLLES : voir Ferragus et La Duchesse Langeais.

– Margarita-Euphémia Porrabéril, marquise de SAN-REAL : fille de Lord Dudley, amante de Paquita Valdès, la fille aux yeux d'or. Elle se retire au couvent.

 

IV. LECTURES ET COMMENTAIRES

« Ce roman est tout simplement absurde, de tout point immoral et impossible. » (Voir René Guise, « Balzac et le "Bulletin de Censure" », A.B. 1983, p. 297) La Revue de Paris (article d'A. Guéroult, août 1835) critique de manière ironique cette nouvelle : « Vous parlerai-je de M. de Balzac ? Si je n'écoutais que mon penchant, je me tairais ; mais dans l'intérêt de son talent, dans celui de nos plaisirs, il n'est pas possible de laisser passer sans réclamation une histoire que M. de Balzac vient de publier sous le titre de la Fille aux yeux d'or. M. de Balzac est l'historien privilégié des femmes [...] M. de Balzac est le conteur par excellence, l'homme des nuances et des détails [...] Eh bien ! savez-vous ce qu'imagine aujourd'hui M. de Balzac ? Savez-vous où il va prendre ses héroïnes ? quelles moeurs il nous représente ? [...] quand le mot de l'énigme s'est enfin révélé, j'ai pensé qu'il eût mieux valu que le jour ne se fût jamais levé sur cette ténébreuse apocalypse. [...] il est des choses qu'il ne faut pas savoir, dont on peut fort bien parler dans un déjeuner de garçons, après le champagne, mais qu'il est tout-à-fait inutile de raconter et d'enseigner aux dames. »  « Pour rentrer en grâce », Balzac doit « retrouver l'inspiration et le style d'EUGENIE GRANDET, de la FAMILLE CLAES, de toutes ces histoires qu'il conte si bien. »

La Fille aux yeux d'or heurte également les sensibilités de Mme Sophie C. qui écrit dans le Petit courrier des dames (30 novembre 1835) : « Nous ne recommandons la lecture de ce monstrueux drame qu'à celles de nos lectrices dont les nerfs ne seront pas trop délicats, et encore ne vaudrait-il pas mieux s'abstenir, malgré tous les charmes de Paquita, de faire la connaissance avec elle, et surtout avec M. Henri et sa terrible soeur, qui ne peut passer, d'après le sens que nous donnons à ce mot, pour une femme de Balzac ? »  Quant à Henri de Marsay, ce « n'est pas un homme du meilleur des mondes, c'est une créature infernale née du cerveau de M. de Balzac, comme presque tous ses hommes, pour faire ombre à la femme. » (Voir René Guise, « Balzac et la presse de son temps », A.B. 1982, p. 99).