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UN PRINCE DE LA BOHEME

par Pierre LAFORGUE

 

I. L'HISTOIRE

Dinah de La Baudraye lit une nouvelle de son cru à l'écrivain Raoul Nathan, où est racontée l'histoire de Claudine Chaffaroux et de Charles-Edouard Rusticoli, comte de La Palférine. Ancienne danseuse, sous le nom de Tullia, Claudine en quittant la scène a épousé le vaudevilliste Du Bruel en 1830 et par la suite elle est devenue en 1834 la maîtresse de La Palférine, le prince de la bohème ; celui-ci formule toutes sortes d'exigences pour se débarrasser d'elle, notamment qu'elle ait un grand état mondain, et, elle, par amour pour lui, entreprend de pousser son mari dans le monde et en fait un comte et un pair de France.

 

II. HISTOIRE(S) DU TEXTE

Cette nouvelle, dont un fragment du manuscrit subsiste (Lov. A 73) avec trois jeux d'épreuves (Lov. A 73) a paru en préoriginale dans la Revue parisienne du 25 août 1840 sous le titre Les Fantaisies de Claudine ; elle est dédiée à Heine. A l'époque ce n'est qu'un récit fait par Nathan à Augusta Nucingen, l'épouse de Rastignac.

Lorsque la nouvelle paraît chez de Potter en octobre ou novembre en 1844, le manuscrit est artificiellement gonflé par une multiplication de titres et de sous-titres et s'intitule désormais Un prince de la bohème.

Enfin, elle est intégrée en 1846 dans La Comédie humaine et trouve place dans le tome XII du Furne. En cette occasion Balzac fait disparaître la division en chapitres et surtout ajoute un prologue et modifie l'épilogue, ce qui lui permet de rattacher la nouvelle à Béatrix, l'interlocutrice de Nathan dans le récit étant la marquise de Rochefide. Pratiquement pas de variantes dans le Furne corrigé.

 

III. PERSONNAGES

– Comtesse Dinah de LA BAUDRAYE : née en 1807, femme du monde et femme de lettres sous le pseudonyme de Jan Diaz, « femme supérieure » ou « bas-bleu » selon les époques et les points de vue. Héroïne de La Muse du département, (Furne, avril 1843), elle quitte son mari, et Sancerre, pour son amant Lousteau, et Paris. Arrivée enceinte en janvier 1837, elle y séjourne donc depuis trois ans quand elle rédige la nouvelle au centre d'Un Prince de la Bohème. En mai 1842, elle quitte Lousteau mais une dernière rencontre, l'année suivante, vient donner un second enfant à M. de La Baudraye charmé. Citée comme « femme restée à peu près honnête » par le narrateur de La Cousine Bette en septembre 1847.

– Comte Jean-François DU BRUEL : il a son origine dans Les Employés. On assiste ici à une ascension, programmée par Tullia, sur injonction de La Palférine - Vaudevilliste à la mode, sous le nom de Cursy, il se rallie à la Monarchie de Juillet et reçoit la Légion d'honneur, et devient pair de France.

– Raoul NATHAN : homme de lettres, « charlatan d'extérieur et de bonne foi » selon Mlle des Touches, Béatrix (mai, 1839).

– Claudine Chaffaroux, dite TULLIA (puis épouse Du Bruel) : née en 1799, premier sujet de danse à l'Opéra de 1817-1827. Elle a la même origine textuelle que son mari, mais aura un passé tumultueux, illustré par sa liaison avec le duc de Rhétoré. Artiste célèbre, elle figure dans une douzaine de romans, depuis Un grand homme de province à Paris jusqu'à La Cousine Bette. On lui doit le premier titre de la nouvelle Les Fantaisies de Claudine, fantaisies dont  Du Bruel est la victime. Elle fatigue Palférine de son trop d'amour et prend la Croix du Sud pour une décoration.

– Comte Charles-Edouard Rusticoli de La PALFERINE (pour faire bref : il est doté de 7 prénoms) : né en 1812, grand séducteur, il envoûte outre Claudine, la comtesse Laginska dans La Fausse Maîtresse (Le Siècle, décembre 1841) et Béatrix de Rochefide dans la IIIe partie du roman qui porte son prénom (Le Messager, décembre 1844). Grand pourfendeur des bourgeois de 1830, il circule dans les récits, d'anecdote en anecdote, avec allure et insolence.

 

IV. LECTURES ET COMMENTAIRES

Une réunion mondaine, qui est occasion de rencontres et d'un récit, presque rien. La Palférine est présent in absentia par ce qu'on dit de lui et par les (bons) mots qu'on lui prête. Sa silhouette finit pourtant par devenir personnage et donner un titre  pertinent à un ensemble jugé souvent un peu factice. Un prince de la bohème doit il est vrai autant à la plume du journaliste qu'au travail du romancier conteur. C'est le premier qui broche à la hâte le texte pour occuper la Revue parisienne, après Z. Marcas, et qui se livre en passant, à un pastiche vengeur de Sainte Beuve en profitant des libertés du récit relaté par sa narratrice. C'est le second qui intègre la nouvelle à une scène de salon, et en souligne, après coup, les connexions avec La Comédie humaine. La fin est explicite : pour en savoir plus « (Voyez Béatrix) ». Au romancier enfin les remarques de poétique qu'on découvre dans les dernières phrases, sur les « dénouements » et sur les « détails », promises à un certain avenir critique. Le texte se prête à la fragmentation en anecdotes (c'est le parti de l'édition originale). Malgré le titre accrocheur, on peut regretter que, pourvu d'un prologue et d'un épilogue et rendu compact, il ait perdu un peu de cette fantaisie que l'on rencontre dans l'Histoire du Roi de Bohême et de ses sept châteaux. Le texte de Balzac y fait allusion, mais la bohème de la Palférine n'est ni la Bohême fantastique de Nodier ni celle dont écrira Murger. Nous restons entre gens du monde, et l'aristocratie à bout de fortune, qui garde manière et élégance, annonce ici le véritable dandysme, celui d'après.