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LA VENDETTA

par Florence TERRASSE-RIOU

 

I. L'HISTOIRE

Ce roman retrace le destin tragique de Ginevra Piombo, superbe jeune fille corse qui bravera les foudres de son père pour épouser l'homme qu'elle aime, Luigi Porta, alors même qu'il se révèle être « l'ennemi de sa famille », selon l'implacable principe corse de vengeance réciproque par le crime, cette « vendetta » qui donne son titre au roman. Luigi Porta est le seul rescapé de sa famille, massacrée par les Piombo. A seize ans il s'engage dans l'armée de Napoléon. Blessé à Waterloo, proscrit, il se cache dans l'atelier du peintre Servin, où Ginevra le découvre. Ginevra et Luigi s'enfuient, se marient et connaissent une fin tragique. Ce récit mélodramatique n'échappe pas à certains poncifs, et l'on doit se souvenir que Mérimée avait publié Mateo Falcone dès le mois de mai 1829, dans la Revue de Paris.

 

II. HISTOIRE(S) DU TEXTE

Le manuscrit est conservé à la bibliothèque Lovenjoul, à l'Institut de France (cote A 239). Le récit comporte trois parties qui semblent avoir été rédigées séparément : L'Atelier, La Désobéissance, et Le Mariage. Plusieurs débuts ont été abandonnés par la suite. Le roman a été écrit à Paris, en janvier 1830, au moment où Balzac aidait la duchesse d'Abrantès à rédiger ses Mémoires de l'Empire.

– Avril 1830 : première édition, édit. Mame et Delaunay-Vallée. Juste après la préface du tome I des Scènes de la vie privée – en 2 volumes. Les divisions du récit se marquaient ainsi : un prologue, « L'Atelier », « La Désobéissance », « Le Mariage », « Le Châtiment ».

– Mai 1832 : deuxième édition, édit. Mame-Delaunay. (Toujours juste après la préface du tome I, dans l'édition augmentée des Scènes de la vie privée, – en 4 volumes.)

– Juillet 1835 : troisième édition, édit. Mme Béchet. (Dans Etudes de Moeurs au XIXe siècle – en 12 volumes –, dont les quatre premiers sont constitués des Scènes de la vie privée. Cette fois La Vendetta est sans divisions, et placée à la fin du tome I. La scène du mariage de Ginevra est encore modifiée par rapport à l'édition originale.

– Octobre 1839 : quatrième édition, édit. Charpentier. (Dans Scènes de la vie privée, « nouvelle édition revue et corrigée » – en 2 volumes. La Vendetta se trouve au début du tome II.)

– Juillet 1842 : cinquième édition, édit. Furne. (Dans La Comédie humaine, dont les quatre premiers volumes forment les Scènes de la vie privée. La Vendetta est le quatrième roman du tome I.

 

III. PERSONNAGES

– Baron Bartholoméo di PIOMBO : il a aidé la mère de Napoléon à fuir à Marseille. Grave, noble et fier, il est « l'un des serviteurs de Napoléon qui a coopéré le plus efficacement au retour de l'île d'Elbe ». Pour lui, sa fille vaut toutes les richesses du monde.

– Ginevra PIOMBO : Madame Luigi Porta. « Sa démarche [possède] un caractère de noblesse qui commande le respect. Sa figure empreinte d'intelligence [semble] rayonner. » Elle s'oppose violemment à ses parents pour épouser Luigi. Elle a trente ans quand sont fils naît, en 1820 : il meurt à peine âgé de sept ou huit mois.

– Maître ROGUIN : notaire de Ginevra Piombo, c'est lui qui vient lire à Bartholomeo di Piombo la procédure des « actes respectueux » par lesquels sa fille peut se passer de son consentement pour se marier. Son nom n'apparaît que dans l'édition Furne de 1842. Il joue un rôle important dans César Birotteau (1837) et c'est sa faillite frauduleuse qui amène celle de Guillaume Grandet (Eugénie Grandet, 1834).

– Madame ROGUIN : femme du notaire. Elle n'a plus confiance dans la moralité de l'atelier Servin, en retire sa fille et conseille à la mère de Mlle Laure d'agir de même. C'est une « fine commère » (Pierrette). C'est ainsi elle qui arrange le mariage d'Augustine Guillaume et du peintre Sommervieux dans La Maison du chat-qui-pelote.

– Mathilde ROGUIN : leur fille. Elève de l'atelier Servin, elle domine le groupe des « républicaines » et défend Ginevra. Elle découvre la présence de Luigi dans l'atelier, en parle à sa mère et n'y revient plus. Elle n'apparaît que dans l'édition Furne de 1842. Son histoire est racontée dans Pierrette (1840), où elle est Mme Tiphaine.

– SERVIN : peintre distingué, âgé de quarante ans, il est le premier à avoir l'idée d'ouvrir un atelier réservé à des jeunes filles choisies. Cet atelier devient donc la référence du genre. « Malgré les rapports qu'il [a] avec les meilleures maisons de Paris, il [est] indépendant, patriote, et conserve avec tout le monde ce ton léger, spirituel, parfois ironique, cette liberté de jugement qui distinguent les peintres. » Pierre Grassou a été son élève (Pierre Grassou).

– Amélie THIRION : autre élève de l'atelier Servin, elle est le « chef du parti aristocratique de cette petite assemblée ». Elle cherche à provoquer et à humilier Ginevra. Elle l'espionne sans relâche et découvre la présence de Luigi, qu'elle apprend à toutes ses compagnes. Elle n'apparaît sous ce nom que dans l'édition Furne (auparavant, ce personnage s'appelle Mlle de Monsaurin). Son histoire est racontée dans Le Cabinet des Antiques, où elle est devenue Mme Camusot de Marville ; et elle joue un rôle important dans Splendeurs et misères des courtisanes et dans Le Cousin Pons.

– Louis VERGNIAUD : soldat napoléonien, il est le témoin de Luigi Porta à son mariage. Il n'apparaît sous ce nom que dans l'édition Furne (auparavant, le personnage s'appelle Hardi, puis Hardy). On le retrouve comme logeur du Colonel Chabert (Le Colonel Chabert).

On notera également la présence importante des personnages historiques dans ce roman : Napoléon Bonaparte, Lucien Bonaparte, le maréchal Feltre, le comte de Labédoyère, le maréchal Lannes, Murat, Rapp.

 

IV. LECTURES ET COMMENTAIRES

L'« histoire corse » se joue ici sur fond d'épuration historique : les règlements de compte de 1816 ont été très durs. En 1830, le gouvernement interdisait encore à la famille du maréchal Ney de placer une épitaphe sur sa tombe. Balzac décrit ces tensions, répercutées dans le microcosme de l'atelier Servin, en termes de « haine » : la haine n'est donc plus ici une spécificité corse. La « vendetta » vient comme redoubler et amplifier le choc de l'Histoire. L'enchevêtrement des deux thématiques est particulièrement intéressant. Les bouleversements idéologique remettent en cause jusqu'à la structure familiale.

Balzac semble parfois condamner l'attitude de Ginevra : sa désobéissance est due au fait qu'elle a vécu avec ses parents « sur le pied d'une égalité toujours funeste ». Or « le respect est une barrière qui protège autant un père et une mère que les enfants, en évitant à ceux-là des chagrins, à ceux-ci des remords ». Il insiste sur le « chuchotement général » de la Société de 1815, qui « vient rappeler à Ginevra que le monde lui demande compte de l'absence de ses parents ». Pourtant la réflexion sur le pouvoir paternel est tempérée par la violence des sentiments de Bartholomeo di Piombo, passion possessive qui annonce, selon de nombreux critiques, le personnage du Père Goriot. Et la désobéissance filiale de Ginevra n'est pas clairement dénoncée comme coupable. Le dénouement mélodramatique rappelle, selon Maurice Bardèche, les romans « par la fabrication desquels [Balzac] avait appris son métier de romancier » : « son imagination s'est accoutumée à inventer suivant certains systèmes de forces et à accepter les situations violentes et simplistes auxquelles ils aboutissent » (introduction pour le Club de l'Honnête homme).