Contempteur de la presse, Balzac ? Plutôt défenseur des bons journalistes ! C'est ce que démontre l'ouvrage collectif La Grande Ville, dont les pages de titre des deux volumes reprennent le portrait expressif d'un "publiciste" présenté dans le chapitre consacré à la Monographie de la presse parisienne de Balzac. L'image est celle du "séide", troisième variété de l'"auteur à convictions" dont Balzac souligne l'enthousiasme et la probité. Ce type de journaliste honnête est d'autant plus remarquable qu'il s'oppose à tous les "écrivassiers" et autres "gâte-papier" formant l'"ordre gendelettre" sous lequel Balzac examine, sur un ton mi-comique mi-scientifique dérivé de la zoologie, l'ensemble des professions de la presse parisienne.
Il est vrai que Balzac est très attaché aux prérogatives d'une presse indépendante, dénuée de toute compromission. Entre 1827 et 1840, il dirige plusieurs journaux dont La Revue parisienne, où il publie son analyse dythirambique du roman de Stendhal La Chartreuse de Parme. Mais il dénonce aussi dès 1839, dans Un grand homme de province à Paris, les méfaits de la presse parisienne à travers les mésaventures de Lucien de Rubempré. C'est donc en connaissance de cause que Marc Fournier, directeur de publication de La Grande Ville, fait appel à Balzac pour une étude du milieu journalistique : "Il fallait, pour saisir le géant corps à corps, un de ces robustes courages, un de ces hommes qui ont pour habitude de marcher dans leur force et dans leur liberté..."
Sur le modèle du Tableau de Paris publié à la fin du XVIIIe siècle par Sébastien Mercier, La Grande Ville se propose de dresser l'"inventaire" de la "situation morale et physique" des Parisiens. Plusieurs écrivains sont sollcités en fonction des types sociaux décrits. Paul de Kock conçoit l'ensemble du premier volume, tandis que plusieurs autres écrivains de renom, dont Balzac et Alexandre Dumas, rédigent les textes du second volume. Balzac y présente sa Monographie comme un "extrait de l'histoire naturelle du bimane en société". A ce titre, elle reste le modèle du genre de la littérature panoramique auquel appartient l'ouvrage. Car au-delà de la vie parisienne, c'est l'ensemble de la société française que La Grande Ville souhaite présenter au public, friand de ces publications illustrées d'images de qualité dont Les Français peints par eux-mêmes et les Scènes de la vie privée et publqiue des animaux sont les parangons.