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HISTOIRE DE LA GRANDEUR ET DE LA DECADENCE DE CESAR BIROTTEAU, 
marchand parfumeur, adjoint au maire  du deuxième arrondissement de Paris
chevalier de la légion d'honneur, etc.

par Françoise SYLVOS

 

 

I. L'HISTOIRE

Grandeur et décadence, croissance et décroissance, tels sont, selon le narrateur de César Birotteau, les principes de tout être et de toute organisation. Il n'est pas de programme narratif plus limpide. Le récit s'ouvre, en décembre 1819, au faîte de la gloire du personnage éponyme, parfumeur et adjoint au maire du deuxième arrondissement de Paris ; il se clôt sur son décès. Il ne faut pourtant pas faire fi des tribulations de ce Christ de boutique, martyrisé sur la croix. Cette décoration inspire au futur Chevalier de la Légion d'honneur les dépenses somptuaires d'un bal et lui donne un vertige d'ambition qui l'amène à risquer toute sa fortune. Ruiné par Sarah Gobseck, le notaire Roguin flaire en Birotteau une dupe potentielle. Le notaire déchu entraîne son « ami » dans sa débâcle : il s'entremet auprès de lui dans une affaire de spéculation immobilière, s'empare de toutes les économies du parfumeur qui ne lui avait pas demandé de reçu, et fuit à l'étranger. Du Tillet, ancien employé de César congédié pour vol, et maintenant  admis dans les hautes sphères de la Banque, est l'instigateur caché de cette escroquerie. Mû par un désir de vengeance, il achève de perdre Birotteau en sapant son crédit auprès des banques avec l'aide desquelles le parfumeur aurait pu se tirer de ce mauvais pas. Cependant César, soutenu par le dévouement de son oncle Pillerault, de sa femme, de sa fille, de son commis Popinot qui, aidé du génial vendeur qu'est Gaudissart, commercialise son huile céphalique, aidé enfin par les six mille francs qu'offre Louis XVIII à ce vieux et fidèle royaliste, rembourse tous ses créanciers, est réhabilité en 1823 et reprend sa Légion d'honneur. Mais terrassé par tant d'émotion, il meurt au jour de son triomphe. Cependant la probité de Birotteau est également l'agent de sa mort anticipée : il s'est tué à rembourser tous ses créanciers alors que ce n'est pas l'usage. César Birotteau, c'est d'après Balzac la « bêtise de la vertu » (Faux départ de 1833, Pl., VI, 1120)

 

II. HISTOIRE(S) DU TEXTE

Cahier relié de 200 feuillets, le manuscrit est conservé sous la cote Lov. A 92. Les épreuves sont classées dans six dossiers (A 93 à A 98). 

– Décembre 1832 à janvier 1833 : Balzac rédige trois faux départs.

– Octobre 1833 : Balzac explicite son projet (A Zulma Carraud, Corr., II, 384) et négocie avec Gosselin l'échange du Marquis de Carabas contre deux volumes de Romans et Contes philosophiques (dont César Birotteau). 

– 1834 : Le manuscrit, commencé à Frapesle (pour les 30 premières pages), met en place la trame du récit, dont les trois phases sont encore très déséquilibrées. Un projet de préface laissé en souffrance (Lov. A 92, fol. 2 v°) situe le roman au sein des Etudes philosophiques. Dans l'ensemble, le manuscrit comporte moins de ratures que d'ajouts. 16 juillet 1834, Balzac passe un contrat avec Werdet (première épreuve sans suite, Lov. A 93, fol. 2 v°). 

– Novembre 1836 : un contrat lie Balzac à Delloye et Lecou, Bohain, auxquels il doit réserver ses nouvelles productions pour la publication en volumes. Werdet fait faillite le 17 mai 1837 (!). César  n'a plus d'éditeur.

– A l'automne de 1837, il s'engage à donner son roman à un journal, Figaro qui le promet à ses lecteurs en février-mars. Mais, très en retard, il ne donne de la copie à l'imprimeur que le 12 juillet et ne se met au travail que fin juillet, péniblement. L'étude philosophique devient « scène de la vie parisienne ». Le Figaro, nouvelle ironie du sort, cesse de paraître le 15 août 1837 et Balzac s'interrompt à nouveau. A une date inconnue, le libraire Boulé rachète le journal et le droit de publier César. En novembre le travail reprend et enfin, le 15 décembre, un article humoristique d'Edouard Ourliac dans Figaro (repris par un nouvel éditeur), annonce l'édition originale, offerte en prime à ceux qui s'abonnent pour 6 mois à L'Estafette ou 3 mois à Figaro.

– 1838. Edition originale : Histoire de la Grandeur et de la Décadence de César Birotteau, Parfumeur, Chevalier de la Légion d'Honneur, Adjoint au Maire du deuxième arrondissement de la Ville de Paris, etc. Nouvelle Scène de la Vie parisienne, Boulé, 2 volumes in-8 datés 1838, mais parue le 15 ou 16 décembre 1837. Le titre n'est pas définitif (« marchand » avant « parfumeur » apparaît en 1839). L'édition comporte une préface, un errata, l'article d'Ourliac « Les Malheurs et Aventures de César Birotteau avant sa naissance », un catalogue des oeuvres de Balzac. Elle comprend trois parties et seize chapitres.

– 1839. César Birotteau (même titre développé, mais « marchand » apparaît avant « parfumeur »), Charpentier, 1839 (page de titre), 1840 (couverture), 1 volume in-18. Publiée sans préface en 1839, cette édition ne comporte que deux parties. Le texte est très retouché.          

– 1844. César Birotteau paraît dans le deuxième volume des Scènes de la Vie parisienne, au tome X de La Comédie humaine, Furne. Le texte présente à peu près les mêmes caractéristiques que dans l'édition Charpentier.

– 1847. Edition du « Musée littéraire » du Siècle (mars 1847) : le texte est établi d'après Furne, avec quelques corrections qui ne se confondent pas avec celles du Furne corrigé.

 

III. PERSONNAGES

En raison même de sa conception et des conditions de sa rédaction, César Birotteau est un carrefour de rencontres pour bien des personnages de La Comédie humaine qui s'y retrouvent ou y préparent leur retour. On doit se borner à en dresser la liste, en remarquant que certaines d'entre eux ont droit à un portrait souvent féroce, comme celui du notaire Roguin.

– César BIROTTEAU (1776 (?)-1823) : négociant.

– Césarine BIROTTEAU : sa fille, née en 1801. Future comtesse Popinot. Citée dans Un prince de la Bohème, Le Cousin Pons, La Maison du chat-qui-pelote, La Muse du département, Un début dans la vie, Illusions perdues.

– Frère de l'abbé François BIROTTEAU : le « curé de Tours ».

– CAMUSOT (né en 1766) : drapier, devenu député puis baron et pair de France en 1845 (Le Cabinet des Antiques, Le Cousin Pons, La Maison du Chat-qui-pelote, La Muse du Département, Un début dans la vie, Illusions perdues).

– Charles CLAPARON : homme d'affaires et de paille (Melmoth réconcilié, La Maison Nucingen).

– Célestin CREVEL. Incarne tous les travers de la bourgeoisie de Juillet (La Cousine Bette, Le Cousin Pons).

– Alexandre CROTTAT : notaire (Le Colonel Chabert, Splendeurs et misères des Courtisanes, La Femme de trente ans, Les Paysans).

– DERVILLE (né en 1794) : maître Derville est l'avoué de La Comédie humaine, qui intervient dans tous les cas difficiles. Sa « fiche » est donnée comme exemple dans Balzac d'Annette Rosa et Isabelle Tournier ( A. Colin, coll. « Thèmes et oeuvres », 1992, p. 156) (Gobseck, Splendeurs et misères des courtisanes, Le Colonel Chabert, Le Père Goriot...)

– Andoche FINOT : publiciste (Béatrix, La Rabouilleuse, Illusions perdues, Un début dans la vie, Splendeurs et misères des courtisanes...)

– Félix GAUDISSART (né en 1792 ?) : commis-voyageur (Splendeurs et misères des courtisanes, L'Illustre Gaudissart, Le Cousin Pons, Honorine).

– GIGONNET (Bidault dit, 1755-1835 ?) : usurier. Apparitions fréquentes, notamment dans Les Employés.

– Jean-Esther van GOBSECK. Usurier aux multiples apparitions. Un récit porte son nom. 

– Sarah GOBSECK. Petite-nièce du précédent. Courtisane.(Splendeurs et misères des courtisanes).

– Joseph LEBAS (né en 1783) : drapier, devenu pair de France. Il réapparaît dans Pierrette, Splendeurs et misères des courtisanes, La Cousine Bette et La Maison du chat-qui-pelote.

– Henri de MARSAY (1792-1834) : dandy et grand séducteur, membre de la société des Treize. Il deviendra un homme d'Etat d'une immense réputation. Reparaît très souvent (29 fois).

– MATIFAT : négociant (Illusions perdues, La Maison Nucingen...)

– Jean-Baptiste MOLINEUX : propriétaire (Une double Famille).

– Baron Frédéric de NUCINGEN (né en 1763) : banquier qui reparaît 31 fois, notamment dans Le Père Goriot, Splendeurs et Misères des Courtisanes et La Maison Nucingen.

– Delphine de NUCINGEN (née Goriot, en 1792) : épouse du précédent, maîtresse de Marsay et de Rastignac (Le Père Goriot, La Maison Nucingen...)

– Anselme POPINOT (né en 1745) : droguiste qui deviendra comte et pair de France (Le Cousin Pons).

– Jean-Jules POPINOT : juge vertueux, oncle du précédent (L'Interdiction).

– ROGUIN (né en 1761) : notaire, qui ruine Guillaume Grandet (Eugénie Grandet), les veuves Bridau et Descoings (La Rabouilleuse). Une réputation épouvantable dans le notariat. Sa femme a une liaison avec Du Tillet (Pierrette, La Muse du département).

– Du TILLET (Ferdinand, dit) : né en 1793 de père et mère inconnues. Banquier (La Maison Nucingen, Une fille d'Eve, La Rabouilleuse).

– Maxime de TRAILLES (né en 1791) : dandy. Finira député ministériel. Il traverse toute La Comédie humaine, de Béatrix aux Comédiens sans le savoir.

 

IV. LECTURES ET COMMENTAIRES

L'histoire de César Birotteau (le texte) est particulièrement éclairante pour suivre l'évolution du roman balzacien et pour la gestion de l'ensemble Comédie humaine, incluant cette autre version, tragico-burlesque des « souffrances d'un inventeur ». La gestation exceptionnellement longue de ce roman, entre les faux départs de décembre 1832 et la première édition chez Boulé en décembre 1837, s'explique par une série de changements d'éditeurs dont les renoncements successifs laissèrent ouvert un chantier que Balzac, sans leur contrainte, n'arrivait pas à clore. Essentielle également est la transformation de l'étude philosophique (César, victime de la pensée qui tue, vecteur de cette catégorie de texte) en scène parisienne, laquelle imposait d'autres développements et un « réalisme » plus grand. Dans le Furne corrigé la révision a encore été particulièrement active et les retouches relativement nombreuses. La plupart sont d'ordre stylistique et tendent à accentuer l'orientation dramatique du texte. Ainsi, Balzac supprime plusieurs alinéas, dans une même réplique, et les remplace par des tirets : l'enchaînement discursif gagne ainsi en rapidité. Inversement, l'alinéa, lorsqu'on l'ajoute, isole et met en relief certaines phrases particulièrement pathétiques. L'inflation des majuscules contribue par ailleurs à la promotion de l'hyperbole et de la personnification, souvent à des fins ironiques. Enfin, par son usage des déterminants, des pronoms et des appellatifs, Balzac systématise la typisation : le pronom, l'adjectif possessif et le nom propre sont souvent écartés au profit d'un appellatif évoquant la catégorie sociale à laquelle appartient le personnage. Substitué au possessif, le démonstratif généralise et donne au récit une portée didactique.

Néanmoins les principales métamorphoses du roman sont intervenues au moment de la relecture et de la correction des épreuves. Considérables, elles touchent à l'architecture même du roman : ajouts et transpositions mettent en évidence la dimension symbolique de l'oeuvre en accusant les contrastes (scènes et personnages). Nombre de retours en arrière et de digressions disparaissent. Grossissant les chiffres du passif et du redressement, allongeant la durée des souffrances de Birotteau, Balzac accuse la tonalité pathétique du récit.