EL VERDUGO

par Pierre LAFORGUE

 

I. L'HISTOIRE

Au cours de la guerre d'Espagne, Victor Marchand, commandant d'un bataillon de l'armée française dans la ville de Menda, dont le seigneur est le marquis de Léganès, assiste au soulèvement des habitants et au massacre de ses soldats. Après la répression menée par le général qui commande la province, deux cents habitants sont exécutés ; quant au marquis et sa famille, ils sont condamnés à être pendus, mais le jeune commandant intercède en leur faveur et obtient qu'ils seront décapités et que sera épargné le fils aîné de cette famille s'il accepte de procéder lui-même à l'exécution des siens et de se faire leur bourreau. Juanito accepte et décapite toute sa famille, à l'exception de sa mère qui se suicide. Il reçoit du roi par la suite le titre de El  Verdugo (le bourreau, en espagnol) et tout à sa mélancolie attend la naissance d'un second fils pour enfin mourir.

 

II. HISTOIRE(S) DU TEXTE

Cette nouvelle, dont ne subsistent ni manuscrit ni épreuves, a paru en préoriginale dans la revue La Mode le 28 janvier 1830, puis en volume en septembre 1831 dans le tome II des Romans et contes philosophiques chez Gosselin. Texte inchangé dans la réédition de juin 1832 où il figure dans les Contes philosophiques (avant L'Enfant maudit) et la remise en vente de mai 1833 dans le tome III des Romans et Contes philosophiques (pseudo quatrième édition). La nouvelle est republiée en 1835 dans le tome V des Études philosophiques chez Werdet, et en cette occasion Balzac se livre à un certain nombre de corrections de détail, qui n'ont qu'un intérêt stylistique, et surtout il ajoute l'indication : « Paris, octobre 1829 ». Enfin, El Verdugo est intégré dans La Comédie humaine et trouve place dans le tome XV du Furne en 1846. C'est alors qu'est ajoutée la dédicace à Martinez de la Rosa, mais aucune autre modification significative n'intervient, à part quelques très menues corrections ponctuelles. Aucune correction dans l'exemplaire personnel de Furne.

Mais la nouvelle connaît en 1847 deux avatars, elle est ajoutée à l'édition des Comédiens sans le savoir dans le texte de l'édition Werdet, avec une division en quatre chapitres, et une multiplication d'alinéas, pour gonfler le volume. Et elle est donnée en prime, le 30 août, aux abonnés du Constitutionnel, mais sans le dénouement, ce qui rend le récit incompréhensible comme le note très justement P. Citron dans l'édition de la Pléiade. Le fait illustre au moins la popularité de ce « conte cruel » et la désinvolture des pratiques éditoriales que Balzac aura de bout en bout rencontrées, sinon acceptées.

 

III. PERSONNAGES

Jean LÉGANÈS (dit Juanito) a 30 ans en 1808, au moment où il devient, malgré lui, El Verdugo. Il résume en lui la famille de Léganès, son intraitable honneur et l'exigence d'assurer la continuité du sang. Autour de lui sont individualisés son père, qui le nomme marquis avant d'être décapité par lui, et sa soeur Clara tendrement aimée, qui, bien qu'éprise de Victor Marchand, n'a que « mépris » et « fierté » pour son offre de la sauver en l'épousant : « Sa tête roula aux pieds de Victor ».

 

IV. LECTURES ET COMMENTAIRES

Ce texte, l'un des plus anciens de La Comédie humaine, l'un des plus archaïques même, n'a donc connu aucun changement notable ; c'est à peine si en 1835 Balzac a essayé d'atténuer la couleur un peu trop romantiquement datée en procédant à quelques suppressions d'épithètes. On le rapprochera d'Un drame au bord de la mer, auquel il est associé dans le Furne. Mais on rappellera surtout le fantasme de décapitation qui revient ici et là dans l'oeuvre de Balzac au moins jusqu'en 1833. Voir Pierre Citron, Dans Balzac (Seuil, 1986), Lucette Besson : « Le Décapité de Montyrat » (Le Courrier balzacien, 1987-4) et Rolland Chollet : « Trophée de têtes » (A.B. 1990). Quant à la localisation dans les Etudes philosophiques P. Citron rappelle une note de Balzac : « un fils tua son père pour une idée » (Pl., X, 1130).