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Honorine

par José-Luis DIAZ

 

I. L'HISTOIRE

Le comte Octave a été abandonné par sa femme, Honorine, pour un amant avec lequel elle a connu la passion et la volupté, et dont elle a eu un enfant. Juste vengeance du ciel, cet homme vulgaire l'a quittée après une brève aventure de dix-huit mois. Et l'enfant du péché est mort. Depuis, Honorine, qui a refusé de reprendre le chemin du toit conjugal, vit en recluse dans une maison de la rue Saint-Maur. Elle y gagne sa vie en fabriquant des fleurs artificielles, sans savoir que son mari, qui lui a pardonné et qui reste profondément amoureux d'elle, n'a cessé de tout faire en secret pour lui adoucir la vie.

L'essentiel de la nouvelle va être consacré au récit de l'entreprise que le mari se décide à confier à son jeune secrétaire, Maurice de l'Hostal : déjouer l'hostilité de sa femme et lui favoriser l'accès auprès d'elle. Le jeune homme loue une maison contiguë à celle de la recluse, s'arrange pour entrer en relation avec elle et pour obtenir d'elle la promesse de revenir à son mari. Ce qui adviendra, malgré la relation amoureuse qui est née à demi-mot entre les deux complices : car, pour être fidèle à sa parole et ne pas succomber au charme d'Honorine, Maurice va s'éloigner définitivement, en se lançant dans la carrière diplomatique. Générosité qui s'avérera criminelle : car Honorine, ayant renoué de force avec l'obligation matrimoniale finira par mourir de cette abnégation. La narration sera faite, longtemps après, dans la villa du consul général de France à Gênes, par le consul en personne, Maurice de l'Hostal. Il a épousé entre-temps une riche héritière génoise, nommée, par une étrange coïncidence, Onorina Pedrotti. Ayant prié sa femme de quitter la compagnie, le consul fait le récit de cette aventure de jeunesse qui a marqué sa vie, en présence d'un cénacle de Français de marque, ses hôtes de passage, parmi lesquels Camille Maupin, Claude Vignon et Léon de Lora. Mais sa femme a tout entendu… Nouveau désastre intime que ne rachète pas la réflexion finale de Camille Maupin au sujet de la sublime Honorine : « Il se trouve encore de grandes âmes dans le siècle ! »

 

II. HISTOIRE(S) DU TEXTE

Honorine est, au choix, une longue nouvelle ou un court roman que Balzac dit avoir composé en trois jours, du 25 au 28 décembre 1842. Le manuscrit en est conservé dans Lov. A 101.
– Le texte paraît en mars 1843 dans La Presse, découpé en six chapitres.
– Le roman ne sortira en librairie que près de deux ans plus tard, d'abord chez de Potter, à l'automne 1844, en deux volumes in-8 (le second est complété par Un prince de la bohème) avec une division en quarante chapitres (auxquels Balzac avait mis des titres en style journalistique), puis en 1845 dans le t. IV de La Comédie humaine (où titres et chapitres ont été supprimés) dans les Scènes de la vie privée (quatrième volume) entre Modeste Mignon et Un début dans la vie.
– Le Catalogue de 1845 replace Honorine plus logiquement entre La Femme abandonnée et Béatrix ou Les Amours forcés. Corrections insignifiantes dans le Furne corrigé.

Le travail d'élaboration de la nouvelle s'est fait en partie sur épreuves. C'est sur épreuves que Balzac a ajouté à son récit un degré narratif de plus, par six feuillets supplémentaires destinés à être placés en tête, qu'il envoie le 25 janvier 1843 à l'imprimeur. Désormais Honorine répond ainsi à une forme-type que Balzac a beaucoup employée : celle du récit dans le récit.

 

III. PERSONNAGES

– Comtesse Honorine de BAUVAN : élevée par les parents d'Octave, elle a 16 ans quand il la rencontre. La nouvelle ne donne que son prénom emblématique. Son nom complet se trouve dans Splendeurs et misères des courtisanes qui évoque la jolie Mme de Bauvan dans les premiers temps de son mariage, vers 1817. C'est depuis 1822 qu'elle habite rue Saint-Maur. Elle a 29 ans en 1827 et meurt en 1831. A la fois adultère et « grande âme » elle provoque l'étonnement de Camille Maupin « qui demeura pensive » à la fin du récit.

– Comte Octave de BAUVAN : il est seulement nommé le comte Octave dans la nouvelle. Splendeurs et misères des courtisanes le présente au long dans ses activités. Ce « grave magistrat » (il est alors ministre d'Etat, et l'un des présidents de la Cour de cassation), plus âgé qu'Honorine (sept ans semble-t-il), comprend qu'il a été maladroit avec elle, mais il ne peut admettre que sa brève aventure voluptueuse avec un amant adoré soit pour elle une expérience inaliénable. Il survit à Honorine mais c'est « un vieillard de 45 ans » qui vient dire adieu à Maurice en 1836, cinq ans après. Sa passion pour elle est décrite comme une monomanie obsessionnelle.

– Maurice de l'HOSTAL : né en 1802, orphelin, neveu de l'abbé Loraux que l'on revoit plusieurs fois dans La Comédie humaine (La Rabouilleuse, César Birotteau). Il semble un peu faible et malléable, mais il partage avec le comte Octave les valeurs de l'honneur, même s'il a besoin de toute sa lucidité pour accomplir sa mission sans faillir. Honorine plaisante sur sa ressemblance physique avec Byron. Mais fuir Honorine pour rencontrer Onorina (Pedrotti), serait-ce un signe du destin ? Autour d'eux, à la fin de la nouvelle : Léon de Lora, Mlle des Touches, Claude Vignon.

 

IV. LECTURES ET COMMENTAIRES

Honorine reprend une structure romanesque dont Balzac a fait usage par ailleurs – dans La Femme abandonnée comme dans une partie de La Femme de trente ans (« À trente ans »). Le centre de ces trois récits est constitué par un personnage de femme déjà mûre, séparée de son mari et retirée du monde, qui va être abordée par un homme plus jeune qu'elle, attiré à la fois par la mélancolie de la recluse et par son expérience de femme faite. La double originalité d'Honorine par rapport à ce schéma, c'est, d'une part, de mettre l'accent sur le point de vue du mari, et, de l'autre, de faire que la rencontre entre le jeune homme et la femme mûre soit seulement esquissée, et finalement manquée. Cela du fait de leur commune abnégation et de leur hauteur d'âme. Dans le rôle du mari délaissé par une femme trop jeune, parce qu'il l'a trop traitée en pédagogue, le comte Octave est en rapport avec deux autres personnages qui sont ses amis et qui lui ressemblent – même statut de hauts magistrats, même rigueur morale, mêmes déboires conjugaux : le comte de Sérisy (Un début dans la vie) et le comte de Granville (Une double famille). Cette donnée étant commune aux trois récits, la singularité d'Honorine est ici dans le pari que prend le comte Octave de s'adresser à un messager, tout en sachant le risque qu'il court en confiant sa cause à plus désirable que lui. La surprise romanesque viendra du fait que le jeune homme reste fidèle à la parole donnée à son patron.

Par un jeu de mots très balzacien, Honorine a les honneurs de la nouvelle. En elle s'unissent, de manière paradoxale, le volcanisme de la passion et la rigueur du sentiment de l'honneur, inscrit jusque dans son nom. C'est par honneur qu'elle se refuse longtemps à reprendre le chemin du foyer conjugal; par honneur qu'elle se condamnera à y revenir, une fois convaincue par Maurice de la nécessité de le faire; par honneur qu'elle y restera, jusqu'à en mourir. Réfrénant son indignation meurtrière contre son mari, cette Lucrèce masochiste retourne le couteau contre elle : elle dépérit et meurt de s'être vouée à une prostitution légale.

Au cercle des femmes adultères que Balzac voulait grouper vers 1832 dans ses Études de femmes inachevées Honorine ajoute ainsi une « âme sublime », dont la poésie est suggérée par des métaphores florales, rendues vraisemblables du fait de l'activité mercenaire qu'il lui attribue. Comme son jardin au milieu de Paris, Honorine est une oasis d'authenticité et d'honneur dans cette ville d'imposture et de boue. Et dont la sublimité résiste à l'ironie facilement méprisante d'une conversation entre artistes parisiens, un soir de mai sur une terrasse de Gênes…