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L'ILLUSTRE GAUDISSART

par Nicole MOZET

I. L'HISTOIRE

Le fou et le voyageur de commerce : deux maîtres de la parole vide, dont l'affrontement canularesque est le fondement de ce récit. Grâce à son éloquence, Gaudissart est capable de vendre n'importe quoi – des chapeaux, des assurances, des journaux –, et pourtant, en passant à Vouvray, il se laisse un jour berner par un vieux vigneron dont la folie est de vendre des pièces de vin qu'il ne produit plus depuis longtemps. Il y a de l'arroseur arrosé dans L'Illustre Gaudissart. L'inertie tourangelle a eu raison de l'habileté parisienne et le meilleur vendeur de France a acheté du vent !

 

II. HISTOIRE(S) DU TEXTE

– Manuscrit : Lov. A 108 (29 feuillets). L'Illustre Gaudissart a été écrit très rapidement, improvisé « en une nuit », affirme Balzac à Eve Hanska (LHB I. p.104) pour compléter le second volume des Scènes de la vie de province, où il occupera les pages 305 à 389. La « scène » n'a jamais changé de titre ni de classement. Elle a fait l'objet de trois éditions :

1. édition originale : Mme Charles Béchet, 1833. Le texte du manuscrit a connu quelques remaniements.

2. édition Charpentier, 1839. Pas de variantes.

3. La Comédie humaine, 1843, tome VI (« Première histoire » du sous-ensemble des Parisiens en province, en couple avec La Muse du département). Plusieurs pages ont été supprimées : elles n'étaient plus en situation en 1843 et faisaient digression, disparate ou violence. Elles ont été reproduites par Bernard Guyon (A.B.1960) et dans la Pléiade (IV, 1328-1335). 

 

III. PERSONNAGES

– Félix Gaudissart : il, au nom rabelaisien, est « illustre » à force d'avoir épousé son siècle : en 1830, il a compris que, plutôt que des chapeaux, il valait mieux vendre des idées ou des mots. La petite ville de Vouvray, avec ses Verrier, Mitouflet ou Margaritis, sert de théâtre à cette farce aux accents moliéresques. On retrouve Gaudissart dans César Birotteau et Le Cousin Pons et plusieurs autres romans. Dans Gaudissart II, en 1844, le nom est séparé de l'homme pour servir d'emblème au commerce moderne.

– Margaritis : un « fou », grâce auquel on va piéger Gaudissart, mais l'un des personnages les plus cocasses de La Comédie humaine. Sa physionomie a un air étrange, celui d'un vieux professeur de rhétorique ou d'« un chiffonnier », et sa conversation est émaillée de quiproquos.

 

IV. LECTURES ET COMMENTAIRES

Cette petite histoire drolatique est aussi politique, car Gaudissart, dont le ventre est en forme de poire – comme la tête de Louis-Philippe dans les caricatures – est l'homme de la monarchie de Juillet. Il est essentiellement actif : il parle, il séduit, il remue, il voyage, il écrit même beaucoup. Il est efficace, comme cette « civilisation » moderne dont Balzac ne parle jamais sans une part d'ironie et qui produit beaucoup de choses, sauf du sens. Gaudissart sait tout, est allé partout, connaît tout, mais ne comprend rien : « son regard glisse sur les objets et ne les traverse pas ». C'est pourquoi on peut voir en lui le contraire exact de l'écrivain, qui devient avec Balzac une sorte d'explorateur des coutumes et des abîmes de la société de son temps. Bernard Guyon a mis l'accent sur l'aspect entrepreneur et spéculateur de Gaudissart, rapproché de son créateur (« Balzac, héraut du  capitalisme naissant », Europe, Colloque Balzac, janvier-février 1965), Soshana Felman sur la « Folie » du personnage (chapitre « Folie et économie discursive : L'Illustre Gaudissart », dans La Folie et la chose littéraire, Seuil, 1978).