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UNE PASSION DANS LE DESERT

par André VANONCINI

 

I. L'HISTOIRE

Après avoir vu le dompteur Martin agir en toute familiarité avec sa hyène, une spectatrice fait part de son étonnement au narrateur qui l'accompagne. Celui-ci prétend expliquer le phénomène grâce au témoignage laissé par un vétéran de la Grande Armée. Pendant la campagne d'Egypte, un jeune Provençal qui participe à l'expédition du général Desaix dans la vallée du Nil est fait prisonnier par des ennemis arabes. Ceux-ci l'emmènent dans un désert, mais il réussit à leur échapper. Bientôt perdu dans l'océan de sable, il parvient à une éminence rocheuse où il trouve l'eau d'une source, la nourriture de quelques palmiers et l'abri d'une grotte. C'est là qu'il s'endort, jusqu'à ce que la respiration et l'odeur d'un fauve le réveillent : il partage la tanière avec une panthère. S'attendant à être dévoré, le soldat constate que la bête le tolère et finit même par se prêter à ses caresses. Au fil des jours, il en fait une amie, si douce et si coquette qu'elle lui rappelle une femme aimée. Il contemple alors avec ravissement les évolutions de sa nouvelle maîtresse, aussi majestueuse que les images changeantes du désert. Ici s'arrête la partie du récit rédigée par le narrateur à l'intention de sa compagne. Celle-ci demande à en connaître l'issue. Le narrateur lui rapporte alors la fin de la confidence du soldat : un geste malheureux, un « malentendu » précipitera la fin. Se croyant attaqué, le soldat plonge son poignard dans le cou de celle qu'il appelait Mignonne, dont, une fois sauvé par ses camarades, il gardera éternellement nostalgie.

 

II. HISTOIRE(S) DU TEXTE

Une passion dans le désert paraît en préoriginale le 24 décembre 1830 dans la Revue de Paris. Balzac prévoit ensuite de faire entrer sa nouvelle dans diverses séries, projets qui n'aboutissent pas.

– Ce n'est qu'en juillet 1837 que reparaît Une passion dans le désert, intégré à la troisième livraison des Etudes philosophiques, t. XVI. Cette édition originale, imprimée par Werdet et mise en vente, après la faillite de celui-ci, sous une couverture de Delloye et Lecou, ajoute quelques petits développements au texte primitif de 1830.

– En janvier 1845, Adam Chlendowski publie le tome IV de Modeste Mignon, sous le titre original Les Trois Amoureux. Ce volume comprend Un épisode sous la terreur et Une passion dans le désert, sous-titré Scène de la vie militaire. Balzac revient au texte de la Revue de Paris qu'il allonge en le divisant en neuf chapitres titrés, pour les besoins de cette édition destinée aux cabinets de lecture. Il modifie par ailleurs la conclusion de la nouvelle. L'interlocutrice du narrateur y intervient une seconde fois, après son apparition au début. Ainsi le récit-cadre, souvent pratiqué dans les épisodes brefs de La Comédie humaine, reçoit son indispensable élément final.

– Dans le Catalogue de 1845, il est prévu que, parmi vingt-trois Scènes de la vie militaire, la nouvelle forme avec Le Prophète et Le Pacha un triptyque intitulé Les Français en Egypte. Finalement, le tome XIII de La Comédie humaine, qui paraît chez Furne en 1845, ne contient que deux Scènes de la vie mlitaire : Les Chouans et Une passion dans le désert. Selon la règle générale du Furne, les chapitres sont supprimés. Le dialogue du récit-cadre est encore augmenté. Le Furne n'est pas corrigé.

 

III. PERSONNAGES

– MIGNONNE : « sultane du désert », la Panthère de Haute-Egypte est l'un des quelques animaux qui reçoivent un nom dans La Comédie humaine, aux côtés de Mistigris, le chat de Mme Vauquer, de Pénélope, la jument fatiguée de Melle Cormon dans La Vieille Fille, du Sultan de Henri de Marsay (La Fille aux yeux d'or) et de l'Abd-El-Kader de Calyste du Guénic (Béatrix), chevaux de race, de Prince, le lévrier de Michaud victime de sa gourmandise et d'un piège appâté au petit salé (Les Paysans), etc. Mais aucun n'est comme elle le protagoniste d'une aventure et l'objet d'une personnification, imposée par la nature ambiguë de l'anecdote, mais si marquée que la critique a pu repérer les analogie flagrantes, dans leur description et leur destin entre elle et la Paquita de La Fille aux yeux d'or. Mignonne, c'est un type de femme.

 

IV. LECTURES ET COMMENTAIRES

Les échos entre Mignonne et Paquita sont la seule forme de réapparition de personnage dans ce texte isolé, déclassé et singulier. Isolé car l'anonymat du narrateur et de son interlocutrice le laisse sans origine de parole et sans enjeu fictionnel. Déclassé, car si le triptyque envisagé dans le Catalogue de 1845, Les Français en Egypte, aurait légitimé le placement du texte dans les Scènes de la vie militaire, en son absence, celui-ci n'est visiblement que le colmatage maladroit d'une série lacunaire et atrophiée. Singulier car, outre le sujet, sulfureux, traité alternativement avec pudeur et audace, c'est un cas rare chez Balzac d'emprunt à l'actualité, en l'occurrence le succès public de la ménagerie Martin. Reste une belle page sur le désert, plus nouvelle qu'il n'y paraît rétroactivement, et la formule finale : le désert, « c'est Dieu sans les hommes » à rapprocher de la marquise « pensive » de Sarrasine et de l'« infini » de La Fille aux yeux d'or. Trois méditations fascinées pour clore trois romans du vertige des sens, où vacillent les identités.