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LE REQUISITIONNAIRE

par Gabrielle CHAMARAT

 

I. L'HISTOIRE

Au mois de novembre 1793, au fort de la Terreur et de l'insurrection vendéenne, alors que la République au abois vient de proclamer la levée en masse de trois cent mille réquisitionnaires, dans des temps de défiance et de rumeur, la bourgade normande de Carentan se perd en conjectures sur le comportement étrange de Madame de Dey. Depuis deux jours, cette veuve qui a reporté toutes ses affections sur son fils, Auguste, parti en émigration, n'a pas ouvert les portes de son salon à ses habitués : le maire, le procureur, l'accusateur public. Un « vieux négociant » tout dévoué à la comtesse vient l'avertir des dangers que la suspicion ambiante lui fait courir, malgré sa prudence et ses relations. Elle lui avoue la vérité : elle attend son fils, fait prisonnier avec l'armée royaliste de Rochejaquelein, débarquée a Granville. Il lui a annoncé par lettre son intention de s'évader dans les trois jours. Le dernier soir, la réception habituelle a lieu et la comtesse, malgré son angoisse, tient son rôle admirablement. Cependant, sur la route de Cherbourg à Carentan, un jeune soldat avance vers la ville d'un pas ferme. Persuadé qu'il est le comte déguisé, le maire, complice, lui donne un billet de logement chez Mme de Dey. L'accusateur public, qui aime celle-ci, et ne doute pas qu'elle attende son enfant, reporte au lendemain son intervention. Mais la mère est détrompée : malgré une ressemblance extraordinaire, le jeune homme n'est pas Auguste. La comtesse attendra tout la nuit. Le dénouement bien digne d'une étude philosophique tiendra en quelques lignes.

 

II. HISTOIRE (S) DU TEXTE

1) Première publication dans La Revue de Paris, le 27 février 1831.  

2) La même année en septembre, le texte est intégré aux Romans et Contes philosophiques, seconde édition, chez Gosselin. 

3) Publication en revue dans le Journal du département du Loir et Cher, mai-juin 1832. 

4) Contes philosophiques, Gosselin, juin 1832. 

5) Romans et Contes philosophiques, quatrième édition, Gosselin, mars 1833. 

6) Etudes philosophiques, t. V, Werdet, 1835. 

Le texte du Réquisitionnaire a été pour cette édition revu avec soin par Balzac et le texte est retravaillé dans le sens d'une plus forte la concision. Le nom de l'héroïne devient définitivement Mme de Dey (et non plus comme jusque là Mme de Dey...) ; « un homme de génie » remplace à la fin « le docteur Gall », la date et le lieu de rédaction sont ajoutés. 

7) Etudes philosophiques, 2 volume, La Comédie Humaine, 1846.  Ajout de l'épigraphe, et de la Dédicace datée de 1836. 

8) Le Constitutionnel, fin mai 1847.

– Pas de corrections dans le Furne corrigé.

 

III. PERSONNAGES

Aucun des personnages n'est reparaissant et pour cause, s'agissant de la famille de DEY. Et sauf la vieille servante Brigitte le personnel de la nouvelle n'a pas d'identité, seulement des fonctions. Pour la comtesse de Dey, jeune mère pathétique, elle n'a pas 40 ans quand elle tient salon pour donner le change. Veuve d'un noble « vieux et jaloux », plus ancien régime que nature à ce qu'il en est dit, elle ne vit que pour son fils unique, fragile jeune homme qui fut nommé lieutenant de dragons à 18 ans.

 

IV. LECTURES ET COMMENTAIRES

Le texte a probablement été rédigé pour répondre à une lettre de Véron, en date du 18 février 1831 (Corr., II, 499). Le directeur de La Revue de Paris y refusait la trop leste Belle Impéria, premier conte drolatique (« votre style donne des érections »), et réclamait « de l'esprit, de l'intérêt, du style, de la poésie », et « si possible », d'être « chaste ». On laissera au lecteur le soin de juger si ce beau programme a été convenablement rempli par Balzac qui, en tout cas, modifia peu son texte, dont l'épigraphe extraite de l'Hist[oire] intell[ectuelle] de Louis Lambert justifie le placement, jamais remis en cause, dans les Etudes philosophiques :  « Tantôt ils lui voyaient, par un phénomène de vision ou de locomotion, abolir l'espace dans ses deux modes de Temps et de Distance, dont l'un est intellectuel et l'autre physique ». La critique s'est assez peu consacrée à ce récit historique qui devient dans ces ultimes lignes fantastique.