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Balzac mondain

par Nicole Mozet

Balzac mondain Extrait de La canne de M. de Balzac, par Delphine de Girardin Extrait de La Femme comme il faut, par Honoré de Balzac

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Mondain : le mot a toujours été un peu péjoratif, connotant la paresse et la frivolité, et Balzac le travailleur se défend souvent d'être mondain. Toute sa vie pourtant, il fréquenta les salons et mena une vie mondaine, dont on a maints témoignages chez les contemporains, et beaucoup de caricatures, surtout dans les années 30. Mais, même après 1842, plusieurs dédicaces de La Comédie humaine mériteraient une étude centrée sur la notoriété des dédicataires. Entre cet « autre » Balzac et le romancier, il n'y a donc pas non plus de solution de continuité. Car son expérience des gens du monde et des grands de ce monde, de même que son expérience d'imprimeur, il l'a reversée dans ses romans, qui en sont tous profondément nourris. Le salon était en quelque sorte une annexe de son cabinet de travail – autant que les salles de rédaction des journaux et revues. Parmi les exemples les plus connus, on peut citer les visites de Rastignac chez Mme de Beauséant et chez Mme de Restaud, dans Le Père Goriot, ou la grande scène d'Illusions perdues à l'Opéra, dans laquelle Rastignac révèle à tout le Faubourg Saint-Germain que le vrai nom de Lucien de Rubempré est Chardon.

Statuette de Balzac par Dantan Jeune
Statuette de Balzac par Dantan Jeune, 1835.
© PMVP, cliché Trocaz

 

document n°1 :

Le meilleur symbole de la mondanité de Balzac est sa canne ornée de turquoises, devenue légendaire. Il la fit exécuter en 1834 par l'orfèvre Le Cointe. Elle inspira un roman de Delphine de Girardin, La Canne de M. de Balzac (1836), dont est tiré cet extrait :

Mais cette canne, cette énorme canne, cette monstrueuse canne, que de mystères elle pouvait renfermer ! elle devait même renfermer !

Quelle raison avait engagé M. de Balzac à se charger de cette massue ? Pourquoi la porter toujours avec lui ? Par élégance, par infirmité, par manie, par nécessité ? Cachait-elle un parapluie, une épée, un poignard, une carabine, un lit de fer ?

Mais par élégance, on ne se donne pas un ridicule pareil ; on en choisit de plus séduisants. Par nécessité ? je ne sache pas que M. de Balzac soit boiteux ni malade ; d'ailleurs un malade qui peut badiner avec cette canne-là nie semble peu digne de pitié. Cela n'est point naturel ; cela cache un grand, un beau, un inconcevable mystère. Un homme d'esprit ne se donne pas un ridicule gratuitement. J'aurai le mot de cette énigme ; je m'attache à M. de Balzac, dussé-je aller chez lui le questionner, l'ennuyer, le tourmenter ; je saurai pourquoi il se condamne à traîner avec lui partout cette grosse vilaine canne qui le vieillit, qui le gêne, et qui ne me paraît bonne à rien.

(Les éditions du Bateau ivre, Paris, 1946, p.77-78)


document n°2 :

Balzac, « La Femme comme il faut », Les Français peints par eux-mêmes, (Bibliophiles de l'Originale, t.XXVI, p.140-141, début de l'article) :

Par une jolie matinée, vous flânez dans Paris. Il est plus de deux heures, mais cinq heures ne sont pas sonnées. Vous voyez venir à vous une femme. Le premier coup d'oeil jeté sur elle est comme la préface d'un beau livre, il vous fait pressentir un monde de choses élégantes et fines. Comme le botaniste à travers monts et vaux de son herborisation, parmi les vulgarités parisiennes enfin vous rencontrez une fleur rare.

Ou elle est accompagnée de deux hommes très-distingués dont au moins un est décoré, ou quelque domestique en petit tenue la suit à dix pas de distance. Elle ne porte ni couleurs éclatantes, ni bas à jour, ni boucle de ceinture trop travaillé ; ni pantalons à manchettes brodées bouillonnant autour de la cheville. Vous remarquez à ses pieds soit des souliers de prunelle à cothurnes croisés sur un bas de coton d'une finesse excessive ou sur un bas de soie uni de couleur grise, soit des brodequins de la plus exquise simplicité. Une étoffe assez jolie et d'un prix médiocre vous fait distinguer sa robe dont la façon surprend plus d'une bourgeoise : c'est presque toujours une redingote attaché par des noeuds et mignonnement bordée d'une ganse ou d'un filet imperceptible. L'inconnue a une manière à elle de s'envelopper dans un châle ou dans une mante ; elle sait se prendre de la chute des reins au col, en dessinant une sorte de carapace qui changerait une bourgeoise en tortue, mais sous laquelle elle vous indique les plus belles formes, tout en les voilant. Par quel moyen ? Ce secret, elle le garde sans être protégée par aucun brevet d'invention. Artistes, poètes, amants, vous tous qui adorez le beau idéal, cette rose mystique du génie heureusement interdite à la Mécanique, flânez et admirez cette fleur de beauté si bien cachée, si bien montrée ! la coquette se donne par la marche un certain mouvement concentrique et harmonieux qui fait frissonner sous l'étoffe sa forme suave et dangereuse, comme à midi la couleuvre sous la gaze verte de son herbe frémissante. Doit-elle à un ange ou à un diable cette ondulation gracieuse qui joue sous la longue chape de soie noire, en agite la dentelle au bord, répand un baume aérien, et que je nommerais volontiers la brise de la Parisienne ? Vous reconnaîtrez sur les bras, à la taille, autour du col une science de plis qui drape la plus rétive étoffe, de manière à vous rappeler la Mnémosyne antique. Ah ! comme elle entend, passez-moi cette expression, la coupe de la démarche ! Examinez cette façon d'avancer le pied en moulant la robe avec une si décente précision qu'elle excite chez le passant une admiration mêlée de désir, mais comprimée par un profond respect. Quand une Anglaise essaie de ce pas, elle a l'air d'un grenadier qui se porte en avant pour attaquer une redoute. A la femme de Paris le génie de la démarche ! Aussi la Municipalité lui devait-elle l'asphalte des trottoirs. Votre inconnue ne heurte personne. Pour passer, elle attend avec une orgueilleuse modestie qu'on lui fasse place. La distinction particulière aux femmes bien élevées se trahit surtout par la manière dont elle tient le châle ou la mante croisés sur sa poitrine. Elle vous a, tout en marchant, un petit air digne et serein, comme les madones de Raphaël dans leur cadre. Sa pose, à la fois tranquille et dédaigneuse, oblige le plus insolent dandy à se déranger pour elle. Le chapeau, d'une simplicité remarquable, a des rubans frais. Peut-être y aura-t-il des fleurs ? mais les plus habiles de ces femmes n'ont que des noeuds.