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Mondain : le mot a toujours été un peu
péjoratif, connotant la paresse et la frivolité, et Balzac le
travailleur se défend souvent d'être mondain. Toute sa vie
pourtant, il fréquenta les salons et mena une vie mondaine, dont on a
maints témoignages chez les contemporains, et beaucoup de caricatures,
surtout dans les années 30. Mais, même après 1842,
plusieurs dédicaces de La Comédie humaine mériteraient une étude centrée sur la
notoriété des dédicataires. Entre cet
« autre » Balzac et le romancier, il n'y a donc pas
non plus de solution de continuité. Car son expérience des gens
du monde et des grands de ce monde, de même que son expérience
d'imprimeur, il l'a reversée dans ses romans, qui en sont
tous profondément nourris. Le salon était en quelque sorte une
annexe de son cabinet de travail – autant que les salles de
rédaction des journaux et revues. Parmi les exemples les plus connus, on
peut citer les visites de Rastignac chez Mme de Beauséant et chez Mme de
Restaud, dans Le Père Goriot, ou
la grande scène d'Illusions perdues
à l'Opéra, dans laquelle Rastignac révèle
à tout le Faubourg Saint-Germain que le vrai nom de Lucien de
Rubempré est Chardon. |
Statuette de Balzac par Dantan Jeune, 1835.
© PMVP, cliché Trocaz |
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document n°1 :
Le meilleur symbole de la mondanité de Balzac est sa canne ornée
de turquoises, devenue légendaire. Il la fit exécuter en 1834 par
l'orfèvre Le Cointe. Elle inspira un roman de Delphine de
Girardin, La Canne de M. de Balzac (1836), dont est
tiré cet extrait :
Mais
cette canne, cette énorme canne, cette monstrueuse canne, que de mystères
elle pouvait renfermer ! elle devait même renfermer !
Quelle
raison avait engagé M. de Balzac à se charger de cette
massue ? Pourquoi la porter toujours avec lui ? Par
élégance, par infirmité, par manie, par
nécessité ? Cachait-elle un parapluie, une épée, un
poignard, une carabine, un lit de fer ?
Mais
par élégance, on ne se donne pas un ridicule pareil ; on en
choisit de plus séduisants. Par nécessité ? je ne
sache pas que M. de Balzac soit boiteux ni malade ; d'ailleurs un malade qui
peut badiner avec cette canne-là nie semble peu digne de pitié.
Cela n'est point naturel ; cela cache un grand, un beau, un inconcevable
mystère. Un homme d'esprit ne se donne pas un ridicule gratuitement.
J'aurai le mot de cette énigme ; je
m'attache à M. de Balzac, dussé-je aller chez lui le questionner,
l'ennuyer, le tourmenter ; je saurai pourquoi il se condamne à
traîner avec lui partout cette grosse vilaine canne qui le vieillit, qui
le gêne, et qui ne me paraît bonne à rien.
(Les éditions du Bateau ivre, Paris, 1946,
p.77-78)
document n°2 :
Balzac, « La Femme comme il faut », Les
Français peints par eux-mêmes,
(Bibliophiles de l'Originale, t.XXVI, p.140-141, début de
l'article) :
Par une jolie matinée, vous flânez dans Paris. Il est plus de deux
heures, mais cinq heures ne sont pas sonnées. Vous voyez venir à
vous une femme. Le premier coup d'oeil jeté sur elle est comme la
préface d'un beau livre, il vous fait pressentir un monde de choses
élégantes et fines. Comme le botaniste à travers monts et
vaux de son herborisation, parmi les vulgarités parisiennes enfin vous
rencontrez une fleur rare.
Ou
elle est accompagnée de deux hommes très-distingués dont
au moins un est décoré, ou quelque domestique en petit tenue la
suit à dix pas de distance. Elle ne porte ni couleurs éclatantes,
ni bas à jour, ni boucle de ceinture trop travaillé ; ni
pantalons à manchettes brodées bouillonnant autour de la
cheville. Vous remarquez à ses pieds soit des souliers de prunelle
à cothurnes croisés sur un bas de coton d'une finesse excessive
ou sur un bas de soie uni de couleur grise, soit des brodequins de la plus
exquise simplicité. Une étoffe assez jolie et d'un prix
médiocre vous fait distinguer sa robe dont la façon surprend plus
d'une bourgeoise : c'est presque toujours une redingote attaché par des
noeuds et mignonnement bordée d'une ganse ou d'un filet
imperceptible. L'inconnue a une manière à elle de s'envelopper
dans un châle ou dans une mante ; elle sait se prendre de la chute des
reins au col, en dessinant une sorte de carapace qui changerait une bourgeoise
en tortue, mais sous laquelle elle vous indique les plus belles formes, tout en
les voilant. Par quel moyen ? Ce secret, elle le garde sans être
protégée par aucun brevet d'invention. Artistes, poètes,
amants, vous tous qui adorez le beau idéal, cette rose mystique du
génie heureusement interdite à la Mécanique, flânez
et admirez cette fleur de beauté si bien cachée, si bien
montrée ! la coquette se donne par la marche un certain mouvement
concentrique et harmonieux qui fait frissonner sous l'étoffe sa forme
suave et dangereuse, comme à midi la couleuvre sous la gaze verte de son
herbe frémissante. Doit-elle à un ange ou à un diable
cette ondulation gracieuse qui joue sous la longue chape de soie noire, en
agite la dentelle au bord, répand un baume aérien, et que je
nommerais volontiers la brise de la Parisienne ? Vous reconnaîtrez sur
les bras, à la taille, autour du col une science de plis qui drape la
plus rétive étoffe, de manière à vous rappeler la
Mnémosyne antique. Ah ! comme elle entend, passez-moi cette
expression, la coupe de la démarche ! Examinez
cette façon d'avancer le pied en moulant la robe avec une si
décente précision qu'elle excite chez le passant une admiration
mêlée de désir, mais comprimée par un profond
respect. Quand une Anglaise essaie de ce pas, elle a l'air d'un grenadier qui
se porte en avant pour attaquer une redoute. A la femme de Paris le
génie de la démarche ! Aussi la Municipalité lui
devait-elle l'asphalte des trottoirs. Votre inconnue ne heurte personne. Pour
passer, elle attend avec une orgueilleuse modestie qu'on lui fasse place. La
distinction particulière aux femmes bien élevées se trahit
surtout par la manière dont elle tient le châle ou la mante croisés
sur sa poitrine. Elle vous a, tout en marchant, un petit air digne et serein,
comme les madones de Raphaël dans leur cadre. Sa pose, à la fois
tranquille et dédaigneuse, oblige le plus insolent dandy à se
déranger pour elle. Le chapeau, d'une simplicité remarquable, a
des rubans frais. Peut-être y aura-t-il des fleurs ? mais les plus
habiles de ces femmes n'ont que des noeuds.
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