Accueil

L'Hommoeuvre

par Nicole Mozet

1799-1839 : apprentissages 1829-1836 : le romancier 1836-1842 : l'écrivain 1842-1850 : La Comédie humaine

Comment nous citer

L'Edition Furne
Protocole d'édition
Lire un roman
 Classement alphabétique
 Classement du Furne
Listes des illustrations
Faire une RECHERCHE
 Mode d'emploi
 Aide

Notices des romans
Mode de lecture
Lire une notice

Portraits de Balzac
L'hommoeuvre
Le collectionneur
L'entrepreneur
L'imprimeur
L'homme du monde

Dossiers
Historique de la publication
Vade-mecum et abréviations
Guide orthographique
Chronologie des fictions
Fiches de lecture
 Une fameuse soupeaurama
 Mystères de province ?
 Balzac est-il réaliste ?
 Balzac, romancier malgré lui ?
 Balzac est-il le roman ?
 Balzac est-il balzacien ?
 Le retour des personnages
 Balzac vers 1830
 L'opération Comédie humaine
Bibliographie

Crédits

 

Devenir Balzac ou rien

Hier en rentrant chez moi, je vis un nombre incommensurable d'exemplaires de ma propre personne, tous pressés les uns contre les autres à l'instar des harengs au fond d'une tonne. Ils répercutaient dans un lointain magique ma propre figure, comme, lorsque deux glaces se répondent, la lueur d'une lampe posée au milieu d'un salon est répétée à l'infini dans l'espace sans bornes contenu entre la surface du verre et son tain.

Pour un bourgeois de la rue Saint-Denis, c'eût été un effrayant spectacle ; pour moi, ce n'était rien. Il n'y avait rien d'extraordinaire à ce que le fantastique fût venu frapper à la porte d'un pauvre homme qui vit de fantaisie.  (Théorie du conte, OD, Pl., I, 517)

 

Qui est Honoré de Balzac ? Un homme avant tout conscient d'appartenir à un siècle où la filiation patriarcale ne suffit plus à définir un individu. Toute La Comédie humaine semble faite pour illustrer une phrase d'une de ses lettres : « La noblesse aujourd'hui c'est 500 000 francs de rentes ou une illustration personnelle. » (Corr., II, 710) Un homme dont l'histoire personnelle a été rythmée par les ruptures politiques : Empire, Restauration, monarchie de Juillet, révolution de 1848. Le fils aîné d'une famille difficile à situer socialement, avec de surcroît un père très âgé et une mère très jeune. Un enfant passionné. Un jeune homme refusant de devenir notaire comme un de ses cousins de province. Un écrivain enfin, dont l'écriture est quête d'identité et dont l'identité n'a pas de sens en dehors de l'écriture. Un romancier, c'est-à-dire quelqu'un qui, de livre en livre, affirme et confirme par sa signature son originalité d'auteur, tout en jonglant à l'infini avec des identités d'emprunt. Tout le début de Facino Cane est l'évocation, à peine transposée, de sa propre « faculté de vivre de la vie » (Pl., VI, 1019) d'un autre individu : « En entendant ces gens, je pouvais épouser leur vie, je me sentais leurs guenilles sur le dos, je marchais les pieds dans leurs souliers percés ; leurs désirs, leurs besoins, tout passait dans mon âme, ou mon âme passait dans la leur. C'était le rêve d'un homme éveillé. » ( ibid., 1020)

 

1. 1799-1829 : apprentissages

Balzac est né à Tours le 20 mai 1799 et ne semble pas avoir été baptisé. L'écrivain inscrira un jour cette date symbolique sur la seconde édition des Chouans, la première oeuvre signée de son nom de naissance. A cette époque Tours a 20000 habitants et la France, pays rural, baigne encore dans une culture orale. Le Directoire, à la veille du coup d'état du 18 brumaire, est en train de s'acheminer vers l'Empire. La rue où est né Balzac s'appelle rue de l'Armée d'Italie, avant de devenir d'Indre-et-Loire, puis Napoléon, puis Royale et enfin Nationale. Les parents de Balzac, quoique sans attaches familiales dans la région, font partie des notables de la ville. Le père, directeur des vivres de la 22e division militaire, est protégé par le préfet Pommereul, qui le fait nommer administrateur de l'hospice général. Il est également assesseur du juge de paix et, de 1803 à 1808, adjoint au maire. C'est pourquoi on peut se montrer perplexe lorsqu'on lit sous la plume du fils, dans une des préfaces du Lys dans la vallée, que son père a été « brisé par la révolution » (Pl., IX, 929).

 

Portrait de B. F. Balzac

Portrait de Bernard-François Balzac. Anonyme, entre 1795 et 1814
© PMVP, cliché Joffre

Bien que la carrière de Bernard-François ait été décrite par Roger Pierrot0 et éclairée par des articles récents, la filiation paternelle reste mystérieuse jusque dans ce nom dont l'écrivain était si fier. Ce fils de paysans du Tarn, né en 1746, s'appelait en effet Balssa. On le trouve clerc de notaire à Canezac de 1761 à 1765, mais il est déjà à Paris, chez un procureur, en 1771. C'est à cette époque de sa vie qu'il changea son patronyme de Balssa en Balzac, qui était le nom d'une famille noble, les Balzac d'Entraigues. Le fils se souviendra également, dans Illusions perdues, que c'est le nom d'une petite ville proche d'Angoulême et d'un écrivain - celui qu'il appelle « l'illustre Guez, plus connu sous le nom de Balzac » (Pl., V, 648). La particule non plus n'est pas d'origine. Ces métamorphoses d'état civil étaient alors plus fréquentes et moins réglementées qu'aujourd'hui, mais jamais Balzac ne révéla ce secret de famille, même dans ses lettres privées. Il l'a peut-être ignoré, de même qu'on n'est pas certain qu'il ait été mis au courant par son père, en 1819, de l'exécution à Albi d'un de ses oncles, accusé et reconnu coupable de meurtre, peut-être à tort. S'est-il souvenu de ce drame, consciemment ou confusément, lorsqu'en 1839, il s'engagea dans la défense de Sébastien Peytel, le notaire de Belley accusé de meurtre, condamné à mort et finalement exécuté ? Quoi qu'il en soit de ces énigmes, La Comédie humaine est une vaste entreprise onomastique dans laquelle le nom de l'auteur est partie prenante. Tant dans ses fictions que dans ses préfaces, Balzac a multiplié les allusions à ce patronyme à peine plus réel qu'un pseudonyme, mais attesté néanmoins par une institution créée peu avant sa naissance : l'état civil. On sait d'ailleurs que Balzac aime la lettre Z, sur laquelle Roland Barthes, dans son S/Z1 a construit toute son interprétation de Sarrasine. En même temps que les deux a de son propre nom, il la donne au personnage-titre de Z. Marcas, avec ce commentaire :

« Il existait une certaine harmonie entre la personne et le nom. Ce Z qui précédait Marcas, qui se voyait sur l'adresse de ses lettres, et qu'il n'oubliait jamais dans sa signature, cette dernière lettre de l'alphabet offrait à l'esprit je ne sais quoi de fatal. » (Pl., VIII, 829)

 

 

Portrait de Laure Sallambier

Portrait de Laure Sallambier.
Anonyme, vers 1798
© PMVP, cliché Joffre

C'est par hasard que Balzac est né à Tours. Le mariage de ses parents eut lieu à Paris, le 30 janvier 1797. Mariage de convenance entre un homme de cinquante et un ans et une jeune fille qui venait d'en avoir dix-huit. Laure Sallambier appartenait à une famille aisée de la petite bourgeoisie parisienne faisant commerce de la draperie. En dépit de la différence d'âge, les deux époux conservèrent chacun sa personnalité, qui était forte : la jeune femme prit bientôt des amants et le mari, bouillonnant d'énergie, avait tendance à se croire immortel, comme ce père qui ne veut pas mourir de L'Elixir de longue vie, et dont le fils, à l'ultime instant, refuse de prolonger la vie. Dans ce récit, Pierre Citron2 voit avec raison une préfiguration de l'oedipe freudien. Laure Balzac, très belle, fut une mère sévère et deviendra vite acariâtre. Entre le vieux père et sa jeune épouse, aussi distants l'un que l'autre et sans doute aussi égoïstes, les enfants avaient l'impression d'avoir affaire à un couple quasi royal : on en trouve un écho dans le livre que Laure Surville3 écrivit sur son frère, ainsi que dans certaines lettres de jeunesse, en particulier une lettre de Laurence, la plus jeune soeur, de novembre 1819 : « Le roi est toujours bon, tout lui est indifférent. [...] La Douairière est plus que jamais dans ses nerfs [...] La reine est toujours bonne mère [...] » (Corr. , I, 70). Cinq enfants naquirent : le premier, Louis-Daniel, né le 20 mai 1798, ne vécut que trente-trois jours. Louis est le prénom d'un oncle paternel - celui qui sera exécuté en 1819 -, et du grand-père maternel. Daniel est le prénom du protecteur de Bernard-François, Daniel Doumerc, qui était aussi un ami des Sallambier et qui servit d'intermédiaire pour le mariage. Un an après, le 20 mai encore, ce fut Honoré, au 25 rue de l'Armée d'Italie. Laure Surville, qui fait naître son frère le 16 mai, précise que son père choisit ce nom au hasard :

« Mon frère est né le 16 mai 1799, jour de Saint-Honoré. Ce nom plut à mon père et quoiqu'il fût sans précédent dans les familles paternelle et maternelle, il le donna à son fils. » (op. cit., p.3 )

 

Honoré est donc un prénom sans antécédents pour un nom lui-même coupé de celui des aïeux, comme si le père avait voulu reproduire pour son fils le geste de renomination qu'il avait déjà imposé à son patronyme. Les deux filles - Laure (20 septembre 1800) et Laurence (18 avril 1802) - furent vouées à la mère. Quant à Henri-François, né cinq ans plus tard, le 21 décembre 1807, il est probable que Bernard-François savait qu'il n'en était pas le père. Sans qu'on puisse dire comment il l'apprit, son frère aîné ne l'ignorait pas et le mentionnera dans une lettre à Mme Hanska du 19 juin 1848 (LHB, II, 872).

Il y avait chez les Balzac un mélange de vitalité et de violence dont les deux cadets pâtirent davantage que les deux aînés. Laurence fit en 1821 un faux beau mariage avec un noble ruiné et criblé de dettes, Amand-Désiré Michaut de Saint-Pierre de Montzaigle. Elle mourra d'épuisement et de chagrin en 1825, à 23 ans. Henry vécut misérablement jusqu'à sa mort, en 1864, dans l'île de Mayotte. En réalité, après le bref moment de l'apogée tourangelle, c'est la famille tout entière qui s'est enfoncée lentement dans l'ombre et la grisaille. A la fin de l'Empire déjà, à cause de l'hostilité du nouveau préfet, le baron Lambert, Bernard-François avait perdu à Tours beaucoup de son prestige et de son influence. Quoique conservant des appuis, le brillant parvenu faisait de plus en plus figure de déclassé. En 1814, il est pourtant encore suffisamment protégé pour occuper des fonctions importantes dans l'entreprise Doumerc, d'abord à Tours, ensuite à Paris. Mais, à 68 ans, le moment de la retraite approchait. Celle-ci sera effective le 31 mars 1819. Bernard-François mourut à Paris le 19 juin 1829.

Dans la mythologie balzacienne, la Touraine occupe la place du paradis, qu'il faut quitter pour devenir adulte. Et, plus encore que Tours, c'est Saint-Cyr-sur-Loire, de l'autre côté du fleuve, qui est donné comme point d'origine. L'enfant y vécut chez sa nourrice jusqu'à l'âge de quatre ans, tout près de la petite maison de la Grenadière dont il fera plus tard un lieu quasi sacré :

« Elle est, au coeur de la Touraine, une petite Touraine où toutes les fleurs, tous les fruits, toutes les beautés de ce pays sont complètement représentés. » (Pl., II, 423-424)

Il vécut ensuite chez ses parents avant de passer presque six ans - de juin 1807 à avril 1813 - au collège de Vendôme. La mise en pension était de règle pour les garçons de son milieu, mais le régime de Vendôme était très strict : aucune sortie n'était autorisée et très peu de visites. Cette expérience fournit la matière des récits de collège de Louis Lambert, qu'il ne faut pourtant pas transformer en documents biographiques. Il fut renvoyé en 1813 pour une raison mal connue, indiscipline ou maladie. Au début de l'été de la même année, il est mis dans une pension parisienne, dans l'hôtel du Marais qui abrite aujourd'hui le musée Picasso, et suit les cours du lycée Charlemagne. Ce n'était pas l'usage d'envoyer si jeunes à Paris les petits provinciaux poursuivre leurs études, mais il semble que Balzac ait vécu cette « transplantation » comme une initiation bénéfique. Comment en effet ne pas penser à la formule de L'Illustre Gaudissart ?

« Transplantez le Tourangeau, ses qualités se développent et produisent de grandes choses [...] Le Tourangeau, si remarquable au dehors, chez lui demeure comme l'Indien sur sa natte, comme le Turc sur son divan. » (Pl., IV, 576)

Comme Félix de Vandenesse au début du Lys dans la vallée, Honoré fut ramené à Tours par sa mère en février ou mars 1814, juste avant la capitulation de Paris (30 mars) et l'abdication de Napoléon (10 avril). Il suit les cours comme externe au lycée de Tours, mais il quitte à nouveau Tours avec sa famille en novembre de la même année pour revenir à Paris : lycée Charlemagne et études de droit. C'est en 1819 que se situe le choix décisif de devenir écrivain. A partir de cette entrée en littérature, biographie et bibliographie4 sont de moins en moins dissociables.

Honoré fut à la fois le petit canard et le grand génie de cette famille plus passionnée que tendre, contre laquelle il tempêta souvent, dont il eut parfois honte mais qu'il ne renia jamais. D'une certaine façon, il était le plus « Balzac » de tous. Comme son père qui n'avait pas voulu rester un paysan, il entra en désobéissance filiale le jour où il refusa l'état de notaire dont Bernard-François rêvait pour lui. Il l'imita aussi en se gargarisant de châteaux en Espagne. Comme son frère et ses beaux-frères, en dehors de son travail littéraire, il a accumulé échecs et projets avortés. Il était hâbleur et capable de tous les mensonges. Les témoignages abondent sur ses extravagances, ses dettes sont célèbres. Tous les siens convoitaient des promotions, il renchérit en visant la gloire. Il l'obtint pourtant quand les autres végétèrent, et il l'obtint par l'écriture, qui fut son unique métier, sans autres pensions ni salaires. La seule tentative qu'il fit hors écriture, mais non hors littérature, concerne, entre 1825 et 1828, des entreprises d'édition et d'imprimerie qui se soldèrent par des échecs. Le retour à la création littéraire de 1828 fut définitif, et c'était aussi pour lui un retour à la réalité, non sans une forte part de jouissance.

Pour gagner beaucoup d'argent, il n'y a pas de moyen moins approprié que la littérature. Nul ne le savait mieux que Balzac. Mais son incessant besoin d'argent lui a fourni l'aiguillon indispensable à cette activité d'écriture sous pression qui lui fit produire en vingt ans à peine la totalité des récits de La Comédie humaine. Ainsi, malgré les apparences, choisir la littérature fut pour Balzac un choix raisonnable, parce que c'était le seul domaine où il pouvait faire fructifier une imagination qui eût dû le perdre, et rendre productive, en la régulant et sans la gaspiller, une énergie débordante : le contraire des coups de bourse qu'il raconte dans ses romans. Pour son oeuvre sinon pour sa vie, sa gestion fut remarquablement efficace, aussi bien au niveau de l'écriture, qui ramasse toutes les miettes, qu'au stade de la publication. C'est l'énorme distance qui sépare Honoré de son demi-frère Henry, le « corsaire » manqué de la famille. Il reste que le décalage perdurera jusqu'au bout entre les performances de l'écrivain et les ratages privés.

 

La rue Lesdiguières avant 1866

La rue Lesdiguières, avant 1866.
Anonyme
© PMVP, cliché Joffre

 

En 1819, Balzac commence par s'enfermer dans la « mansarde » du 9 rue Lesdiguières, au troisième étage. Il travaille à une tragédie, Cromwell, qui sera décrétée exécrable par un Académicien à qui elle fut soumise, et à un roman qui demeurera inédit : Sténie.  Balzac n'est pas encore Balzac, mais les grands thèmes balzaciens de la paternité, du pouvoir et du retour en Touraine sont déjà présents. Ce fut ensuite la maison de ses parents à Villeparisis, et le temps des pseudonymes : lord R'hoone, Horace de Saint-Aubin. Après la solitude de la rue Lesdiguières, se nouent les premières amitiés et collaborations littéraires. C'est aussi le début de sa liaison avec Laure de Berny, avec qui il eut la révélation de la passion amoureuse, de la jouissance partagée et d'une totale complicité intellectuelle. Celle-ci joua dans sa formation un rôle décisif auquel l'écrivain a souvent rendu hommage. En elle, il a trouvé un guide et une amante en même temps que la lectrice idéale, capable d'encourager tout en critiquant. Dans la lettre à Zulma Carraud déjà mentionnée à propos d'un jeune homme qui se croyait une vocation littéraire, il évoque ses dix années d'apprentissage du métier d'écrivain :

 

Portrait de Laure de Berny

Portrait de Laure de Berny.
Anonyme, vers 1793
© PMVP, cliché Lifermann

«  Il est ce que j'étais à son âge, cet enfant, mais je savais quelque chose, je ne saurais condamner entièrement un jeune homme dont
l'Oeuvre ressemble à celle que j'aurais faite à son âge ; mais qui voudrait des dix ans par lesquels j'ai passé ? Est-il placé comme je l'étais pour être protégé. Rencontrerait-il des femmes qui lui élargiront le crâne, entre deux caresses, en lui relevant le rideau qui cache la scène du monde ? Aurait-il le temps d'aller dans les salons ? A-t-il le génie observateur ? En rapportera-t-il des idées qui écloront à 15 ans de là ? L'on ne sait pas quel phénomène est un écrivain. » (Corr., II, 717-718)

Mme de Berny, mariée et mère d'une nombreuse famille, avait vingt-deux ans de plus qu'Honoré. Les parents étaient furieux, bien qu'à cette époque on fermât assez volontiers les yeux sur ce genre d'initiation. Dans la petite nouvelle du Message, on lit le récit attendri des confidences réciproques de deux jeunes hommes tous les deux amoureux d'une femme de quarante ans :

« Jeunes tous deux, nous n'en étions encore, l'un et l'autre, qu'à la femme d'un certain âge, c'est-à-dire à la femme qui se trouve entre trente-cinq et quarante ans [...] nous nous comprîmes à merveille sur tous les points essentiels de la passion. Et d'abord, nous avions commencé à poser en fait et en principe qu'il n'y avait rien de plus sot au monde qu'un acte de naissance [...] » (Pl., II, 396).

Pendant toute cette période de latence et de tâtonnements jusqu'aux Chouans de 1829, Balzac écrivain fait ses gammes mais ne connaît guère que des déboires. C'est encore pire en tant qu'imprimeur. On ne peut qu'admirer la vitalité qui le fait réagir du fond de ce désastre : « je reste à trente ans bientôt, avec du courage et mon nom sans tache. » (Corr., I, 336) C'est ce qu'il écrit le 1er septembre 1828 au général de Pommereul, à Fougères, pour lui demander l'hospitalité : « Je vais reprendre la plume et il faut que l'aile agile du corbeau ou de l'oie me fasse vivre et m'aide à rembourser ma mère. » (ibid.) Ce sont les années glorieuses du roman historique français. Le Cinq-Mars de Vigny, dont Balzac a imprimé la troisième édition, est de 1826, et Balzac lui aussi y songe depuis longtemps. Pour son retour à l'écriture, il compte utiliser le récit qu'on lui a raconté d'« un fait historique de 1798 qui a rapport à la guerre des chouans et des vendéens » ( ibid.), c'est-à-dire, qu'à l'intérieur du genre historique, il choisit un passé très proche. Le temps de la future Comédie humaine, qui est pour l'essentiel l'histoire de la première moitié du XIXe siècle, est enfin venu. Du grand oeuvre qui trouvera son titre en 1840, la première pierre est posée, en mars 1829, avec un roman qui s'appelle alors : Le Dernier Chouan ou la Bretagne en 1800. Même si le livre ne connaît encore qu'un succès d'estime , un auteur est né : M. Honoré Balzac, très momentanément sans particule.



0 Roger Pierrot, Honoré de Balzac, Fayard, 1994. C'est la biographie de référence.

1 Roland Barthes, S/Z, Seuil, 1970. Voir aussi le chapitre « Onomastique et inconscient » dans Anne-Marie Baron,  Le Fils prodige. L'inconscient de La Comédie humaine, Nathan, 1993.

2 Pierre Citron, Dans Balzac, Seuil, 1986, p.80.

3 Mme L. Surville (née de Balzac), Balzac, sa vie et ses oeuvres d'après sa correspondance, Jaccottet, Bourdillat et Cie, 1858.

4 Cf. Stéphane Vachon, Les Travaux et les jours d'Honoré de Balzac. Chronologie de la création balzacienne, Presses Universitaires de Vincennes, Presses du CNRS, Les Presses de l'Université de Montréal, 1992.

 

Consulter :

1799-1839 : apprentissages

1829-1836 : le romancier

1836-1842 : l'écrivain

1842-1850 : La Comédie humaine